261- L'INTÉRIEUR ET L'EXTÉRIEUR EN ARCHITECTURE


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Costumes grotesques et métiers, Vers 1700,
en couleur par le peintre et graveur français Nicolas II de Larmessin , réalise une série de 97 gravures de Costumes grotesques, représentant différents métiers de l’époque.
Nicolas II de Larmessin(1632/1694)


En parlant d'intérieur et d'extérieur en architecture, nous pouvons faire le lien entre les notions qui forment  "un signe " d'un point de vue sémiologique et l'espace architectural comme signe . 
Le signe étant par essence double, on appelle " signifiant" la face matérielle, physique, saisissable et "signifié" la face immatérielle, conceptuelle, qu’on ne peut appréhender que intellectuellement. Le signifiant et le signifié sont indissociables, ils sont comparables aux deux faces d’une même pièce qui serait le signe. La signification est l’acte qui unit le signifié et le signifiant et qui produit le signe.
Mais l'aspect "conceptuel" du signe, le signifié, est également une réalité psychique : il ne faut pas confondre le signifié avec le référent (ce à quoi renvoie le signe dans la réalité extérieure). Un signe a un sens (son signifié) que l'objet auquel il fait référence par ce sens existe ou non dans la réalité. Si le signifiant en architecture est relatif à l'aspect matériel tel que le bâti, le construit, alors quel est l'aspect immatériel de l'architecture , quel est son signifié : 
Qu'est ce qui dans l'architecture en est le sens ?

Ferdinand de Saussure a ainsi envisagé le signe: il décrit le signe linguistique comme une entité psychique comportant deux faces indissociables (une réalité bi-face), un signifiant (les sons ou leur transcription écrite, la partie sensible) et un signifié (le concept, la partie abstraite).  Le signifiant est donc considéré comme une sorte
d’élément médiateur du signifié. Le rapport établi entre les deux faces du signe constitue la signification.
Ferdinand de Saussure dit d’ailleurs expressément que le signe linguistique unit une idée (un concept, le signifié) et une «image acoustique» (le signifiant), non une chose et un nom:
« […] la langue […] est un système de signes où il n’y a d’essentiel que l’union du sens et de l’image acoustique, et où les deux parties du signe sont également psychiques». 

Ainsi nous pouvons dire " l'image" est l'extérieur, " l'idée" est l'intérieur, l'ensemble est l'espace architectural, mais quelle est cette "idée" à l'intérieur qui donne du sens à l'espace architectural ?
Ainsi, le signifiant ne doit pas être conçu comme un pur phénomène physique, mais comme une représentation mentale qui résulte au départ d’un acte de perception.
La définition la plus générale, par conséquent celle aussi qui sera susceptible de satisfaire le plus grand nombre d’approches théoriques, pose le signe comme quelque chose qui est mis à la place de quelque chose d’autre. La particularité essentielle du signe, c’est d’être là, présent, désignant ou signifiant quelque chose d’absent, que cette chose soit concrète ou abstraite. 
Nous dirons alors quelle est cette absence ?
Le signe indique l’existence d’une chose ou représente autre chose.
C. S. Peirce définit le signe comme: « […] quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre».
Le signe est donc le représentant d’autre chose qu’il évoque à titre de substitut. Le bâti architectural représente autre chose que ce qu'il est, mais il
 tient lieu pour quelqu’un de quelque chose ......

Cette définition est intéressante à plusieurs titres, elle offre la particularité: de pouvoir s’appliquer à des choses perçues (le «quelque chose» peut être un objet, un geste, un son, une odeur, etc.) ou évoquées (image mentale); d’inclure une dynamique interprétative («pour quelqu’un»); de laisser entendre que le sens est relatif à l’interprète (quelque chose qui tient lieu «pour quelqu’un») et dès lors n’est pas absolu, mais dépendant d’un contexte («sous quelque rapport ou à quelque titre»). Ainsi le signe ne représente pas la totalité de la «chose» absente (concrète ou abstraite), mais seulement, par la voie de sélections diverses, la représente d’un certain point de vue, ou en vue d’un certain usage pratique. Tout peut devenir, faire signe pour quelqu’un: un mot imprimé, une image, un objet, un geste, un événement.
L'espace architectural représente alors une absence mais simultanement faire signe de quelque chose pour quelqu’un, pour tout un chacun.

Mais si l'intérieur est indissociable de l'extérieur, si il ne se pense qu'en fonction de l'extérieur, alors le plus grand risque auquel nous soyons confrontés est la perte du contact avec soi :

Ainsi en sémiologie, admettons en suivant Wittgenstein que tout soit là, sous nos yeux, dit dans le langage de tous les jours dont nous avons hérité et auquel nous avons donné notre assentiment. Du signe, nous ne voyons que la face extérieure. Mais alors comment se fait-il que la croyance en une intériorité soit si répandue? Pour le comprendre, il n'est pas nécessaire de supposer une partie privée, secrète, de l'esprit. Il suffit d'admettre qu'entre l'intérieur et l'extérieur, il n'y a pas de frontière. Ils sont articulés grammaticalement, par des jeux de langage. "Intérieur" ne signifie rien indépendamment de "extérieur" (c'est une structure). Le sujet n'est pas "entre" l'intérieur et l'extérieur, mais il est à la fois intérieur et extérieur. Si ce qui se passe en moi est si difficilement accessible, c'est parce qu'on ne peut accéder à l'intérieur que par l'extérieur. Or je ne peux pas accéder à moi-même par l'extérieur. Il en résulte une inquiétude, une anxiété, un scepticisme. Je ne peux pas plus accéder à mon intériorité que je n'accède à celle de l'autre.

Dans son évolution, Wittgenstein passe de la représentation (le Tractacus) à la confession (les Recherches philosophiques débutent par une citation de Saint Augustin). L'intérieur n'a rien de caché : il est simplement intérieur. Il peut être inaccessible, mais tout ce que j'en sais se manifeste par des critères extérieurs : les gestes, la paroles, des signes. (idixa)


Mais dans l’objet-espace la continuité intérieur/extérieur peut être définie de plusieurs points de vue (géométrique, psycho-physiologique, socio-culturel…), d’autre part, il importe de reprendre la réflexion sur la complexité de l’espace architectural dans l’histoire de l’architecture, initiée par Vitruve (soliditas, utilitas, venustas) forte (ou pérenne), utile et belle, théorie développée par Alberti (necessitas, commoditas, voluptas), Nécessité (necessitas), commodité (commoditas) et volupté (voluptas
Entre Vituve et Alberti nous pouvons voir que les critères sont devenus plus " sensible " moins techniques et que la beauté et la volupté sont les critères communs aux deux théories, et sont pour l'usager de l'espace architectural, ce " quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre ".
L’espace architectural, posé comme structure signifiante, est donc envisagé du point de vue du sens. Cette hypothèse de l’architecture comme langage implique deux postulats : 1)l’espace n’a pas besoin d’être parlé pour signifier, il signifie directement ; 2) l’espace signifie autre chose que lui-même, autre chose que sa matérialité physique. L’activité de l’architecte est ainsi saisie comme une activité sémiotique, productrice de significations, mais prise dans un sens large, incluant les pratiques signifiantes.( Albert Levy. Sémiotique de l’architecture : Contribution à une étude du projet architectural.. Nouveaux Actes Sémiotiques) 
Nous parlerons alors de la relation sémiotique entre l’espace bâti par l’architecte et l’espace saisi par l’habitant. Dans l'espace architectural comme signe, l'intérieur du signe est l'espace perçu par les usagers ( cette notion d'intérieur inclus le dedans et le dehors du bâti) et l'extérieur du signe est l'espace bâti par l'architecte.
Alain Rénier distingue conformation et configuration . Selon lui, à la conformation première, rigide et statique, issue de la programmation, s’articule une configuration seconde, souple et dynamique, celle de l’engrammation de l'espace vécu de l’habitant dans son expérience temporelle. 
En neurophysiologie, l'engramme est la trace biologique de la mémoire (trace ou artefact mnémonique) dans le cerveau. C'est  l'empreinte laissée dans le cerveau ou le système nerveux par quelque événement et susceptible d’être réactivé par une stimulation appropriée.
A la substance et à la forme matérielle de l’édifice répond celle des corps occupant l’espace. A la forme contenue de l’espace architectural conçu par l’architecte répond le sens de l'espace pour l’usager ; à un grand potentiel d’enchaînements syntagmatiques disponibles répondent des instanciations possibles ( L'instanciation désigne une programmation informatique qui se base sur un exemple déjà créé. Exemple : Cette instanciation est la copie parfaite de l'original. )
Ces enchaînements sont gouvernés par des règles lisibles dans des configurations symboliques rapportées à des cadres de référence existants ; l’articulation entre texte et contexte est médiatisée par des figures. De la conformation à la configuration sont en jeu des relations entre un texte et son lecteur, dans un contexte qui laisse place à l’interprétation. De multiples niveaux de sens s’articulent ainsi entre préfiguration, configuration et refiguration, dans un processus où le temps relie narration et action. Les travaux de Paul Ricoeur sur la métaphore nous aident ainsi à saisir les recherches d'Alain Rénier dans une théorie d'ensemble de l'acte configurant. 
( Pierre Pellegrino et Emmanuelle P. Jeanneret. Configuration, figure. Nouveaux Actes Sémiotiques [ en ligne ].)

Ainsi nous pourrons distinguer radicalement la forme donnée à l'espace bâti par l’architecte de celle reconnue par les usagers à leur habitat. On savait depuis les travaux de Hjelmslev qu’à chaque forme correspond une substance et que les niveaux de substance sont multiples. Ainsi, lorsque formes du contenu et formes du contenant s’articulent, c’est à plusieurs niveaux de la formation du sens. le linguiste danois Hjelmslev a substitué aux signifiant / signifié chez Saussure la terminologie expression / contenu, et il distingue dans chacun de ces deux plans le niveau de la forme et celui de la substance pour privilégier bien entendu la description de la forme. Autrement dit, l’objet privilégié de la linguistique n’est autre que la forme en tant que réseau de relations intralinguistiques, ou la structure définie comme une « entité autonome de dépendances internes . Ainsi l'usager est le contenu de l'expression architecturale de l'espace . Et ce " contenu/signifié " est mouvant et forme un réseau sensible de relations qui interpelle le notion d'éphémère. Celle dont Baudelaire dit : 
Dans son essai " La Modernité " publié dans Le Peintre de la vie moderne en 1863 Baudelaire y définit le concept de modernité comme la quête de la beauté des tendances éphémères, pour l'intégrer, à des fins créatrices, à ce qui est éternel.
« La modernité, c'est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable »
Dans l'extérieur du signe, le bâti se situe dans la recherche d'une continuité historique/ urbaine/politique, mais la perception de l'espace bâti par l'usager est ce que " la modernité de Baudelaire " recherche et qui est saisi dans l’instant qui passe. 

La pratique de l'espace architectural par les usagers ne vise pas la saisie d’un temps installé dans la durée, produit par des transformations inscrites dans un processus de sédimentation, mais l’expérience d’un présent absent du fait même qu’il s'improvise car inclus dans une dynamique interprétative («pour quelqu’un»); de laisser entendre que le sens est relatif à l’interprète (quelque chose qui tient lieu «pour quelqu’un») et dès lors n’est pas absolu, mais dépendant d’un contexte («sous quelque rapport ou à quelque titre»

Il y a dans la modernité une réflexion sur la notion d'absence dans le signe . La particularité essentielle du signe, étant d’être là, présent, désignant ou signifiant quelque chose d’absent, que cette chose soit concrète ou abstraite. La pratique de l'espace architectural par les usagers donne forme au vide à partir 
" du fugitif, du transitoire, du contingent " de la perception de l'espace architecturale , et cette existence du sensible apparaît dans la figure de plénitude qui est " l'autre moitié , l'éternel et l'immuable " .