174-JEAN TINGUELY " MACHINES A DESSINER"



Jean Tinguely, Le Cyclograveur (1960) photo Lennart Olson, Besucherin auf Cyclograveur, Ausstellung Roerelse I konsten, Moderna Museet, Stockholm ( 1961) 

les Méta-matics de Jean Tinguely
 
Leonardo Bezzola: Jean Tinguely 1960. Original photography , Méta-matic n°8, 1959. MUSÉE TINGUELY BÂLE.

Jean Tinguely, né en 1925 à Fribourg et mort à Berne en 1991, est sculpteur suisse. Il fait ses études aux Arts appliqués de Bâle de 1940 à 1945, et en 1944 commence à s’intéresser au mouvement dans l’espace. Dans les années 50 il réalise une série de sculptures à moteurs, nommées les Méta-matics , machines à dessiner .
Les Méta Matics commencées en 1954 sous le nom de Méta mécaniques sont des œuvres d’art animées conçues par Jean Tinguely à partir de 1954 et mises au point sous le nom de Méta Matics à partir de 1959. Il réalise également des Méta – Reliefs, les Méta-Matics sont présentés dans la galerie Iris Clert lors d’une exposition intitulée. « Sculptures qui peignent ». par Tinguely
Tinguely a en 1959 déposé un brevet pour protéger ses " appareils à dessiner " :
"Brevet d'Invention" issued by the French Ministry of Industry, Service de la Propriété Industrielle (requested on June 26, 1959 and granted on June 17, 1960) for an "appareil à dessiner et à peindre":
"La présente invention a pour objet un appareil de construction simple permettant de dessiner ou de peindre d'une manière qui, en pratique, est entièrement automatique, l'intervention humaine étant limitée au choix d'un ou de quelques paramètres, et éventuellement, à la fourniture de l'énergie motrice." (Pontus Hultén ( Jean tinguely )1975, p. 84.)


Jean TINGUELY (1925-1991), Méta-Matic N° 6, 1959
Iron tripod, wooden wheels, sculpted metal plate, rubber bands,
metal rods, electric motor (all painted black) : 50 x 70 x 30 cm
Museum Tinguely, Basel, © 2008, ProLitteris, Zürich, © Photo : Christian Baur, Basel

Jean TINGUELY (1925-1991), Machine à dessiner N° 3, 1955
Wooden panel painted black, rotating metal disc, wire.
Rear : 3 wooden wheels, rubber bands, 2 electric motors : 54.5 x 106 x 33 cm
Museum Tinguely, Basel, © 2008, ProLitteris, Zürich, © Photo : Christian Baur, Base


Jean TINGUELY (1925-1991), Cyclograveur, 1960
Welded scrap metal, bicycle elements, sheet metal, drum and cymbal, book : 225 x 410 x 110 cm
Kunsthaus Zürich; Gift of the artist 1986, © 2008, ProLitteris, Zürich, © Photo : André Morain, Paris 

Nous pouvons mettre en lien les Méta-Matic de Tinguely avec la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp, dans son rapport au mouvement, mais aussi dans le concept de Duchamp qui dit "C'est le regardeur qui fait l’œuvre"
Georges Charbonnier : nous savons tous ou nous pensons tous savoir ce qu’est une œuvre d’art. À quel moment existe-t-elle et qui la fait ?
Marcel Duchamp : Je n’en sais rien moi-même. Mais je crois que l’artiste qui fait cette œuvre, ne sait pas ce qu’il fait. Je veux dire par là : il sait ce qu’il fait physiquement, et même sa matière grise pense normalement, mais il n’est pas capable d’estimer le résultat esthétique.
Ce résultat esthétique est un phénomène à deux pôles : le premier c’est l’artiste qui produit, le second c’est le spectateur, et par spectateur, je n’entends pas seulement le contemporain, mais j’entends toute la postérité et tous les regardeurs d’œuvres d’art qui, par leur vote, décident qu’une chose doit rester ou survivre parce qu’elle a une profondeur que l’artiste à produite, sans le savoir. Et j’insiste là-dessus parce que les artistes n’aiment pas qu’on leur dise ça. L’artiste aime bien croire qu’il est complètement conscient de ce qu’il fait, de pourquoi il le fait, de comment il le fait, et de la valeur intrinsèque de son œuvre. À ça, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste.
Jean Tinguely avec ses  Machines à dessiner à matérialisé la pensée de Duchamp en réalisant des œuvres qui sont les outils que les spectateurs utilisent pour créer

 
Marcel DUCHAMP, 1887/1968, France, Roue de bicyclette, 1913/1964
L'original, perdu, a été réalisé à Paris en 1913. La réplique réalisée en 1964 sous la direction de Marcel Duchamp par la Galerie Schwarz, Milan, constitue la 6e version de ce Ready-made.
Assemblage d'une roue de bicyclette sur un tabouret, Métal, bois peint, 126,5 x 31,5 x 63,5 cm

La Roue de bicyclette est souvent considérée comme le premier ready-made de Marcel Duchamp. Mais cette œuvre n'est pas encore un vrai ready-made puisque l'artiste y est intervenu en fixant la roue de vélo sur le tabouret. De plus, lui-même la définit plutôt comme une sculpture sur un socle, à la manière des œuvres de son ami Constantin Brancusi .

Dans une lettre à sa sœur envoyée en 1915 des Etats-Unis où il vit, celle-là même expliquant ce qu'est un ready-made (already-made ou ready-made, un objet déjà tout fait et revendiqué comme œuvre par l'artiste du seul fait de l'avoir choisi), Duchamp justifie, par opposition, sa Roue de bicyclette en disant qu'il apprécie particulièrement le mouvement de la roue, favorisé par sa position sur le tabouret. Mouvement, selon lui, aussi fascinant que celui des flammes dans un feu de cheminée. Il aurait alors créé cet objet faute de cheminée.
Cette œuvre procède très vraisemblablement de l'humour bien connu de l'artiste, mais appartient aussi à une série de travaux sur le mouvement, récurrents dans son œuvre, depuis le Nu descendant l'escalier, 1912, jusqu'à son film Anemic cinema, 1925, ou les Rotoreliefs, 1935. Ainsi la Roue de bicyclette semble répondre à un réel intérêt pour le mouvement et sa capacité hypnotique. ( Centre Pompidou )

Mais si nous pouvons dire que les machines de Marcel Duchamp mettent l'esprit en mouvement nous pouvons faire le lien entre les Machines de Tinguely et les Machinesd'Heinrich Anton MÜLLER, que nous verrons ensuite
L'amour de Marcel Duchamp pour les machines et les objets mécaniques a commencé très tôt, avec le Bec Auer de 1902 (il avait 15 ans) - ce même Bec Auer qu'on retrouve réincarné dans la lampe qui éclaire la femme mise à nu d'Etant donnés, une de ses dernières œuvres. Ces machines ont la capacité de se transformer quand on les commente, et aussi de transformer l'art. Le mouvement qui les anime n'est pas interne, mais externe. Comme l'explique en 1955 J-H Lévesque : Une œuvre de Duchamp n'est pas exactement ce qu'on a devant les yeux, mais l'impulsion que ce signe donne à l'esprit de celui qui le regarde(cité en exergue du livre Duchamp du signe). Qu'elles comportent presque toujours des allusions charnelles ou viscérales accroît le trouble.



Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même
[Le Grand Verre], 1915-1923 / 1991-1992
Réplique réalisée par Ulf Linde, Henrik Samuelsson, John Stenborg, sous le contrôle d’Alexina Duchamp
Huile, feuille de plomb, fil de plomb,poussière et vernis sur plaques de verre
feuille d'aluminium, bois, acier, 321 x 204,3 x 111,7 cm
Moderna Museet, Stockholm - Schwarz n°404 

Le Grand Verre se compose de deux panneaux disposés à la verticale, axe de l’élévation à la fois spirituelle, érotique, religieuse… La Mariée se trouve dans la partie supérieure, les célibataires dans la partie inférieure. La frontière entre ces deux mondes, au centre, représente, écrit Duchamp, « l’horizon et le vêtement défait de la Mariée ».
Dans cette mise en scène, la Mariée est conçue comme le « moteur » des désirs des célibataires. Moteur et « pendu femelle », écrit-il, encore. Placée en haut du verre, elle tient au bout d’un crochet. Ce crochet lui permettrait-il d’échapper à la pesanteur ? Eh bien, non, poursuit le peintre, rien de naturaliste dans sa réponse : « […] si ce moteur mariée doit apparaître comme une apothéose de virginité, c’est-à-dire le désir ignorant, […] et s’il (graphiquement) n’a pas besoin de satisfaire aux lois de l’équilibre pesant, néanmoins, une potence de métal brillant pourra simuler l’attache de la pucelle à ses amies et parents […]. »
La Mariée occupe la place dédiée aux vierges en majesté dans les peintures religieuses. Duchamp recourt, ici, comme il le fait depuis les années 1910-1912, à des mythes ou symboles qu’il vide de leur sens (Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, par exemple, ou Baptême). Une démarche identique à celle des objets auxquels il ôte leur usage et leur identité – les readymades. Son œuvre exprime cet acte récurrent : garder les livrées, les formes, les apparences, les vider de leur symbolique culturelle, donc temporelle, pour les investir des idées et de la sensibilité de son temps, ou de sa propre histoire. (Centre Pompidou)
Machine d'Heinrich Anton MÜLLER (1865-1930) ; Jean TINGUELY, Moulin à prières III, 1954, bois, montants métalliques et fils de fer, 50 x 40 x 30 cm.
Quand Jean Tinguely découvre les sculptures mobiles d’Heinrich Anton MüllIer, il est saisi d’admi­ration. Bricolées à l’aide de branchages et de chif­fons, ces machines aux grands rouages sont action­nées par une petite manivelle; elles tournent dans le vide, comme entraînées dans une sorte de mouve­ment perpétuel, et se déploient dans la cour d’un hôpital psychiatrique, à l’écart des cercles culturels et dans l’anonymat. «Elles l’impressionnent autant que l’histoire de Müller. Il ne s’agit plus d’art comme marchandise, d’art comme objet matériel mais d’art comme pur moyen d’expression, un art qui n’est pas stratifié dans la société. L’extérieur des machines de Müller lui fait également une forte impression par leur apparence », écrit Pontus Hulten. Tinguely est fasciné par l’assemblage des matériaux insolites et par le caractère non fonctionnel de ces mécanismes. Ce désordre mobile l’enchante. À la recherche d’une expression «révolutionnaire, anarchiste et contestataire », sans doute envisage­-t-il cette création comme une voie nouvelle, encore inédite. En 1954, Daniel Spoerri, ami de l’artiste, visite les collections de l’hôpital de la Waldau où plusieurs photographies de sculptures de Müller sont conservées ; on peut donc supposer que Tinguely les découvre aussi cette année-là.
Les premières constructions de fils de fer, à mani­velle ou à moteur, réalisées par Jean Tinguely en 1954 présentent des analogies formelles mani­festes avec les machines mobiles de Mülller; les rouages agencés horizontalement et verticalement composent le même type d’assemblage. «Au moment où il crée la première de ses roues en fil de fer, Tinguely découvre une source presque inépui­sable, un mécanisme dont l’objet n’est pas la préci­sion mais l’anti-précision, une mécanique du hasard » Les machines de Müller semblent bel et bien donner l’impulsion à son aventure cinétique qui durera près de quarante ans. La sculpture géante et éphémère créée plus tard par Tinguely, en 1962, pour l’exposition Dylaby, au Stedelijk Museum d’Amsterdam, est intitulée Hommage à Anton Müller. L’œuvre est fabriquée au moyen de divers matériaux récupérés comme des câbles, des ressorts, des anneaux, des fils et des pièces de fourrure; elle est désignée comme « mobile scap-and-rubbish sculp­ture » («bagarre mobile et sculpture d’ordures »).
 
HEINRICH ANTON MÜLLER, Selbstkonstruierte Maschine, 1914-1923 (zerstört), in: L´Art Brot, 1, Paris, 1964
Heinrich Anton Müller est né à Versailles, en France Müller, (1865-1930), France . Marié à une Suissesse, il s’installe dans le pays de sa femme, à Corsier-sur-Vevey. Il exerce le métier de vigneron et se révèle être un bricoleur ingénieux: il invente une « machine à tailler des plants de vigne en vue de les greffer ». Mais sa trouvaille sera exploitée par d’autres car il omet de payer la taxe annuelle au bureau fédéral de la propriété intellectuelle où son invention est enregistrée. Suite à cet épisode, il sombre dans la dépression. Son comportement s’aggrave et, à l’âge de trente-sept ans, il est interné à la clinique psychiatrique de Münsingen, près de Berne, où il résidera jusqu’à sa mort. C’est là qu’il entame, à partir de 1914, une production artistique, en s’adonnant d’abord à des travaux d’assemblage, puis au dessin trois ans plus tard.
 
Portrait de Heinrich Anton Müller photographeenon identifié
© crédit photographique
Collection de l’Art Brut, Lausanne

Heinrich Anton Müller est l’auteur d’imposantes machines. Celles-ci sont constituées de branches, chiffons et de fils de fer qu’il lubrifie avec ses excréments, ainsi que de grands rouages de différentes dimensions qui s’entraînent entre eux. Il ne subsiste plus que quelques photographies témoignant de ces étonnantes inventions détruites par leur créateur lui-même.
Il réalise également des dessins sur les murs des chambres de l’asile, puis sur des pièces de carton ou du papier Kraft qu’il assemble par des points de couture. Il représente un bestiaire imaginaire, travaillant essentiellement à l’aide de crayons à la mine de plomb et de craies blanches. L’écriture occupe une place importante dans sa production. Heinrich Anton Müller rédige des textes singuliers dans des calligraphies élaborées, qu’il place au recto ou au verso de ses compositions et dont le contenu renforce le caractère mystérieux de ses travaux.
 Heinrich Anton Müller 1869-1930. Katalog der Maschinen, Zeichnungen und Schriften by Roman Kurzmeyer, Stroemfeld, Basel, 1994
Müller, Heinrich Anton est l’auteur d’imposantes machines. Celles-ci sont constituées de branches, chiffons et de fils de fer qu’il lubrifie avec ses excréments, ainsi que de grands rouages de différentes dimensions qui s’entraînent entre eux. Il ne subsiste plus que quelques photographies témoignant de ces étonnantes inventions détruites par leur créateur lui-même.

Heinrich Anton Müller 1869-1930. Katalog der Maschinen, Zeichnungen und Schriften by Roman Kurzmeyer, Stroemfeld, Basel, 1994 (german language)
Machines and drawings produced by Müller between 1912 and 1927 at the Münsingen psychiatric hospital, Switzerland.

Les Machines de Müller, dont il ne reste presque rien, juste quelques photos, étaient des assemblages faits avec des morceaux de bois, de cuir, des détritus, des excréments. Lorsque quelqu’un passait près de lui, Müller faisait tourner ses manivelles. Ce bricolage matérialisait la mise en mouvement de son cerveau, de ses idées, de son corps tout entier . Le fait que quelqu’un qui est privé de tout, d’une manière assez radicale propose une image mentale forte, vous met alors vous même en mouvement . Ainsi nous pouvons faire le lien entre les machines de Duchamp, Tinguely et Müller , le mouvement de l'esprit actionné par le geste du corps, les rouages et mécanismes sont les analogies du corps en tant que machines comme la Mariée de Duchamp, avec la représentation du corps par des éléments issus de la nature et de déchets variés, mécanisme éphémère, fragile et comme la Mariée, cicatrise les blessures . nous pouvons faire le lien avec Niki de Saint Phalle et ses Tirs . Tirs qui à l'aide de machines /carabines, laissent jaillir les lignes et points du dessin en couleurs des chagrins et douleurs de la Mariée


Portrait of Niki de Saint Phalle at work, 1961. Photo: Shunk-Kender ©J. Paul Getty Trust. The Getty Research Institute, Los Angeles (2014.R.20). Gift of the Roy Lichtenstein Foundation in memory of Harry Shunk and Janos Kender.
 Niki de Saint-Phalle, Tir- séance 26 juin, 1961 (in progress): Artistic action: participants (left to right, shooting at pigment sacks hung on tableau): Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle, unidentified man kneeling), Paris, Impasse Ronsin, 26 June 1961 (photo: Shunk-Kender; © 2008 Niki Charitable Art Foundation, all rights reserved / VG Bild-Kunst Bonn 2012; photo © Roy Lichtenstein Foundation, Shunk-Kender)

Les "Tirs" propulsent Niki de Saint-Phalle dans le cercle fermé des nouveaux réalistes. En pleine guerre d'Algérie, lors de sa première exposition à Paris en 1961, elle invite le public à tirer sur des tableaux surprises. Ces "performances" la rendent célèbre des deux côtés de l'Atlantique. Les spectateurs sont invités à tirer à la carabine ou au révolver sur un assemblage d'objets pris dans du plâtre, fixés sur un support, et de faire éclater des sachets de couleurs dissimulés sous le plâtre pour qu'ils éclaboussent tout : "J'imaginais la peinture se mettant à saigner. Blessée de la manière dont les gens peuvent être blessés. Pour moi la peinture devenait une personne avec des sentiments et des sensations", expliquait-elle.
Le spectateur fait l’œuvre à l'aide d'une machine et libère alors son âme et nous pouvons mettre en lien les dessins réalisés par les Méta-Matics et ceux réalisés par les tirs de carabine

 
Grand Tir – Séance de la Galerie J Niki de Saint-Phalle
30 juin – 12 juillet 1961
Plâtre, peinture, grillage, ficelle, plastique sur panneau d’aggloméré

 
Jean TINGUELY (1925-1991),Painting by Meta-matic No. 12
in collaboration with J. Kosics.

Jean TINGUELY (1925-1991),Painting by Meta-matic No. 20
in collaboration with Klara Hulten.

Portrait of Niki de Saint Phalle at work, 1961. Photo: Shunk-Kender ©J. Paul Getty Trust. The Getty Research Institute, Los Angeles (2014.R.20). Gift of the Roy Lichtenstein Foundation in memory of Harry Shunk and Janos Kender.
Saint Phalle shooting, Stockholm (Robert Rauschenberg shooting), 1961. Photo: Shunk-Kender ©J. Paul Getty Trust. The Getty Research Institute, Los Angeles (2014.R.20). Gift of the Roy Lichtenstein Foundation in memory of Harry Shunk and Janos Kender.

Le corps souffrant, la machine à dessiner outil de torture devient par le mouvement du corps, l'outil rédempteur qui guérit et laisse l'âme exprimer ses difficultés dans une synthèse entre Les tirs, le mouvement de la roue de bicyclette, les machines de Tinguely et les rouages de bois de celles de Müller.

Rébecca Horn « Le masque aux crayons» 1972,
crayons, métal, tissu,

Rébecca Horn « Le masque aux crayons» 1972,
crayons, métal, tissu,

Rebecca Horn est née en Allemagne, à Michelstadt, en 1944. Âgée de vingt ans, elle intègre l'école des Beaux-Arts de Hambourg, dont elle sortira diplômée en 1970. Au cours de sa première année d'étude, en 1964, elle manipule sans protection de la résine et des solvants qui atteignent gravement ses poumons. Rebecca Horn est conduite dans un sanatorium où elle est soignée pendant un an. À cela s'ajouteront de nombreux mois de convalescence, durant lesquels elle reste diminuée physiquement. Cet isolement forcé, dû à sa maladie dont les symptômes sont proches de la tuberculose, imprègne les premières créations de la jeune artiste. Prothèses, excroissances, membres synthétiques sont des substituts qu'elle intègre dans son œuvre, en jouant autant sur le développement de nouvelles possibilités pour son corps que de son entrave. Les codes esthétiques rappellent l'érotisme sado-masochiste cher à certains surréalistes, une identité trouble et un jeu de contraires tels que les mettait en scène Luis Buñuel dans Le Chien andalou (1928) ou L'Âge d'or (1930), qui sont des références d'importance pour Rebecca Horn. Les « outils » en cuir qu'elle imagine sont le plus souvent référencés dans le Body Art, car Rebecca Horn les a mis en scène dans des performances filmées en 1972. Dans Pencil Mask (1972), le sujet porte un masque fait de lanières de cuir dont les intersections sont dotées de crayons ; la tête dessine alors sur un mur, dans une chorégraphie aussi pénible que poétique.

Pour conclure nous mettrons  un texte de Tinguely sur le mouvement extrait de la thèse suivante:
www.theses.fr/2015REN20010.pdf

≪ C’était vraiment drôle et très beau aussi par moments. Nous entendions Static,static, no static, static… sensationnel, le tout était totalement incompréhensible a part quelques mots clés qui arrivaient a passer. ≫.
≪ Statique, statique, statique ! Soyez statique ! Le mouvement est statique ! Le mouvement est statique parce qu'il est la seule chose immuable – la seule certitude, le seul inchangeable. La seule certitude est que le mouvement, le changement et la métamorphose existent. C'est pourquoi le mouvement est statique. Le soi-disant objet immobile n'existe qu'en mouvement. Les choses,
idées, œuvres et croyances immobiles, certaines et permanentes changent, se transforment et se désintegrent. Nous refusons d'accepter l'existence des objets immobiles et les instantanés d'un mouvement, parce que nous ne sommes nous mêmes qu'un instant dans le grand mouvement.
Le mouvement est la seule chose statique, finale, permanente et certaine. Statique signifie transformation. Laissons nous être statiques ensemble avec le mouvement. Bougeons statiquement ! Soyons statiques ! Soyons mouvement !
Croyons en la qualité du mouvement statique. Croyons en le changement. Nedéfinissez rien avec exactitude ! Tout de nous est mouvement. Tout change autour de nous. Croyez en la qualité statique du mouvement. Soyez statique ! Le constant du mouvement, de la désintégration, du changement et de laconstruction est statique. Soyez constant ! Habituez-vous a voir les choses, les idées et lesœuvres dans leur état de changement incessant. Vous vivrez plus longtemps. Soyez permanent en etant statique ! Soyez une partie du mouvement !
Seul le mouvement nous permet de trouver la véritable essence des choses. Nous ne pouvons pas continuer a croire aujourd'hui aux lois permanentes, qui définissent la religion, l'architecture durable des royaumes eternels. L’immuabilité n'existe pas. Tout est mouvement. Tout est statique. Nous avons peur du mouvement parce qu'il signifie la décomposition – parce que nous voyons notre
désintégration dans le mouvement. Le mouvement statique continu est en marche ! Il ne peut pas être stoppé. Nous nous trompons si nous fermons les yeux et refusons de reconnaitre le changement. En fait, la décomposition n'existe pas !
La décomposition n'existe pas ! La décomposition est un état que nous envisageons seulement parce que nous ne voulons pas qu'elle existe, et parce que nous la redoutons.
Il n'y a pas de mort ! La mort existe seulement pour ceux qui ne peuvent pas accepter l’évolution. Tout change. La mort est une transition d'un mouvement vers un mouvement. La mort est statique. La mort est mouvement.
Soyez vous-même en vous dépassant. Ne bloquez pas votre propre route.
Laissons-nous changer avec, et non contre le mouvement. Alors nous serons statiques et ne nous décomposerons pas. Alors il n'y aura ni bon, ni mauvais, ni beauté, ni in-esthétisme, aucune vérité ni de mensonge. Les conceptions sont des fixations. Si nous restons immobiles, nous bloquons notre propre course et nous nous confrontons a nos propres controverses. Laissons-nous nous contredire nous même, parce que nous changeons. Laissons nous être bons et mauvais, vrais et faux, beaux et détestables. Nous sommes tout cela. Laissons-nous l'admettre en acceptant le mouvement.
Laissons-nous être statique ! Soyons statiques !
Nous sommes toujours très ennuyés par des notions de temps périmées. S'il vous plait, jetez vos montres ! Rejetez au moins les minutes et les heures.
Évidemment, nous nous rendons tous compte que nous ne sommes pas éternels.
Notre peur de la mort a inspire la création de belles œuvres d'art. Et c’était aussi une bonne chose. Nous voudrions tellement pouvoir posseder et penser par nous même.
Nous voudrions tellement posséder, penser ou être quelque chose de statique, d'éternel et de permanent.
Cependant, notre seule possession éternelle sera le changement.
Essayer de retenir l'instant est incertain.
Capter une émotion est impensable.
Pétrifier l'amour est impossible.
C'est magnifique d’être transitoire.
Comme il est beau de ne pas avoir a vivre pour toujours.
Par chance il n'y a rien de bon et rien de mauvais.
Vivons dans le temps, avec le temps – et lorsque le temps s'est épuisé jusqu’à disparaitre, contre lui.
N'essayez pas de le retenir. Ne construisez pas de barrages pour le restreindre.
L'eau peut être stockée. Elle coule entre vos doigts. Mais le temps, vous ne pouvez pas le retenir. Le temps est le mouvement et il ne peut etre controle.
Le temps passe et poursuit sa course, et nous restons derrière, vieux et en ruine.
Mais nous sommes rajeunis encore et encore par le mouvement statique et
continu. Laissons-nous etre transformes ! Laissons-nous etre statiques ! Laissons nous être contre la stagnation et pour le statique ! ≫.
Jean Tinguely, manifeste ≪ Fur Statik ≫, laché d'avion au-dessus de Dusseldorf en 1959,
traduit de l’allemand, publie dans M. Fath, 1960, Les nouveaux réalistes, catalogue de
l'exposition qui s'est tenue au Musee d'Art moderne de la ville de Paris du 15 mai au 7
septembre 1986, Ed. MAM, Paris, 1986.