145-MARCEL DUCHAMP , ÉCHEC ET SAINTETÉ




Duchamp aborde le féminin par ses aspects sacrés 

Lors de la rétrospective de Marcel duchamp au Musée d'art de Pasadena en 1963 , le photographe Julian Wasser  prit ces clichés du jeu d'échecs entre Marcel Duchamp en costume cravate et Eve Babitz nue . La jeune fille se vengeait de ne pas avoir invitée à la fête d'inauguration de l'exposition. Duchamp avait assisté à la première en 1913 à Paris du Sacre du printemps d'Igor Stravinsky, qui avait provoqué un scandale. La jeune et voluptueuese opposante était la fille de Sol Babitz, (violiniste co-fondateur du "Early Music Laboratory") et la petite-fille de Stravinsky. Duchamp lui a infligé un échec et mat à chaque partie tout en discutant de L'Oiseau de feu. 

Photograph of Marcel Duchamp and Eve Babitz posing for the photographer Julian WASSER during the Duchamp retrospective at the Pasadena Museum of Art, 1963© 2000 Succession Marcel Duchamp, ARS, N.Y./ADAGP, Paris.

Photograph of Marcel Duchamp and Eve Babitz posing for the photographer Julian WASSER during the Duchamp retrospective at the Pasadena Museum of Art, 1963© 2000 Succession Marcel Duchamp, ARS, N.Y./ADAGP, Paris.
Vue en transparence du Grand verre, la mariée est mise à nu par le célibataire même, devant la broyeuse de chocolat.

Le jeu d'échecs symbole de l'amour courtois
Valve de miroir ivoire blanc, Paris, vers 1300, Ivoire d'éléphant,Musée du Louvre, Objets d'art, inv. OA 117 © Musée du Louvre , © RMN / Daniel Arnaudet 
Parmi les objets de toilette précieux et raffinés dont l'usage se développe à partir du XIVe siècle figurent les valves de miroir, dont l'extérieur est orné de scènes généralement profanes. Cette pièce du Louvre en offre un des exemples les plus achevés, dans le style souple et élégant des ateliers parisiens du temps de Philippe le Bel associé à une composition savante.
La scène se passe sous une tente aux pans relevés symétriquement. Le centre de la composition, sur lequel se focalisent tous les regards, est le jeu d'échecs et les mains des joueurs : le jeune homme tient une pièce d'échecs tandis que son adversaire, une jeune femme avec une coiffure "à cornes", désigne une pièce de l'échiquier, et en tient deux dans l'autre main (cherche-t-elle à tricher ?). Chacun est conseillé par un serviteur.
Cette représentation, qu'on a pu rapprocher d'un épisode de Huon de Bordeaux ou de Tristan et Yseult, est fréquente dans le répertoire décoratif des valves de miroir, essentiellement formé d'évocations idéales de la vie courtoise qui renvoient très rarement à un texte précis. Le jeu d'échecs était en effet une métaphore courante de l'amour courtois, avec sa codification très précise, par opposition aux jeux de dés, symboles de la débauche. Ici, la servante tient une couronne pour le vainqueur de ce jeu, qui est aussi celui de la séduction.

Enluminure de Manuscrit fin XIIIe ,Lancelot du lac fait porter un échiquier magique à la Reine Guenièvre
Les textes et l’iconographie du Moyen Âge et de la Renaissance attestent la présence des femmes devant l’échiquier. Dans les enluminures du manuscrit du roi Alphonse X de Castille,Le livre des jeux d’Échecs et de dés datant de 1283, les jolies dames nobles jouent et jouent certainement fort bien au Jeu des Rois comme l’illustre la légende de Dilaram ou les textes courtois comme Huon de Bordeaux ou encore l’épopée de Raoul de Cambrai. Jacques de Cessoles dans la seconde moitié du XIIIe siècle, dans l’un des premiers livres de moralités sur les Échecs, Le Liber de moribus hominum et officiis nobilium sive super ludum scacchorum, peint le tableau de la société médiévale idéale calquée sur les mouvements des pièces. Le jeu devient un mode de communication délicat, mais aussi un artifice utilisé pour les déclarations courtoises et galantes.
« L’affrontement des joueurs est une métaphore à peine voilée de l’affrontement des amants lors de la conquête amoureuse », écrit Nicolas Coutant sur Images de l’amour courtois aux XIVe et XVe siècles. « Peu de temps après que la Reine apporta sa présence féminine sur l’échiquier, le jeu fut considéré comme le lieu de conquêtes romantiques autant que militaires », explique Marilyn Yalom dans son livre Birth of the Chess Queen. Un peu comme si l’existence de la Reine dans l’univers des soixante-quatre cases légitima la présence des femmes devant l’échiquier réservé jusque-là à la gent masculine. « Les filles de bonne famille, conclut Marilyne Yalom, pouvaient envisager ces rencontres mixtes, avec toutes les possibilités romantiques qu’elles pouvaient offrir. Les Échecs fournissaient un alibi pour les amoureux d’une rencontre dans l’intimité des jardins et des boudoirs, où ils pouvaient s’entraîner à leurs sentiments autant qu’à la pratique du jeu. Et contrairement aux dés, associés à la licence et au désordre, les Échecs devaient être joués avec une cérémonie prudente. C’était une métaphore parfaite pour l’amour… »


L'union alchimique du féminin et du masculin comme finalité de étapes de la transformation intérieure de l'androgyne
 Heinrich KUDORFER. Alchymiae,l'union, unité du roi et de la reine au sommet des marches de l'escalier des transformations by Andreas Libavius. 1606. - 
DUCHAMP, féminin masculin, l'androgyne même

Man RAY. Mannequin de Marcel Duchamp dans la rue aux lèvres, 1938,Photographie réalisée à l'Exposition internationale du surréalisme, Paris, galerie des Beaux-Arts, janvier- février 1938
Epreuve gélatino-argentique, 20,2 x 15 cm

Man RAY. Mannequin de Marcel Duchamp dans la rue aux lèvres, 1938,Photographie réalisée à l'Exposition internationale du surréalisme, Paris, galerie des Beaux-Arts, janvier- février 1938
Epreuve gélatino-argentique, 20,2 x 15 cm

Mais il se peut que le plus intéressant pour nous aujourd’hui soit le mannequin deDuchamp, perçu comme trop simple et peu spectaculaire à l’époque : « Duchamp posa simplement sur son mannequin le veston et le chapeau qu'il venait d'enlever, comme si le mannequin était un porte-manteau. C'était le moins frappant des mannequins exposés, mais il symbolisait à merveille le désir qu'avait Duchamp de ne pas trop attirer l'attention ».
On ne sait pas si tel était vraiment le désir de Duchamp, en tout cas son mannequin fut à plusieurs reprises commenté, « [...] portant pour tout costume un veston d’homme dont la pochette était une lampe électrique rouge [...] ». Selon Georges Hugnet, « le mannequin de Duchamp, simplement coiffé d’un chapeau d’homme et vêtu d’un gilet et d’une veste, s’agrémentait au crayon, au-dessus du pubis, du nom de Rrose Sélavyet gardait un rien de son originelle indécence soulignée par son allure évoluée et garçonnière ».
Cet androgyne improvisé jure avec la plupart des autres interventions, qui vont, quant à elles, vers
une image du fémininrappelant que le désir surréaliste est surtout le désir masculin (et ceci, même quand l’artiste surréaliste est une femme). ( source Centre Pompidou, Médiation )


Man RAY (1890 - 1976) Marcel Duchamp en Rrose Sélavy 1921 ,Négatif au gélatino bromure d'argent sur verre,
12 x 9 cm
L'union intérieure avec la continuité de l'astre Solaire et de la Lune autour de la terre, de l'eau, ensemble donnant le mouvement du masculin/féminin
Johannes de Sacrobosco c. 1230 De sphaera mundi (Latin title meaning On the Sphere of the World, sometimes rendered The Sphere of the Cosmos; the Latin title is also given as Tractatus de sphaera, Textus de sphaera, or simply De sphaera) is a medieval introduction to the basic elements of astronomy

Duchamp " Encore à cet astre ", la synthése entre Eve, le joueur d’échecs, le nu et la montée/descente de l'escalier

 
Marcel DUCHAMP,1887/1968, Once More to this Star (Encore À Cet Astre), 1911. Pencil, 9 3/4 x 6 1/2 in.
Courtesy of The Philadelphia Museum of Art, Louise and Walter Arensberg Collection.
« Dans le dessin la figure bien-sûr monte l’escalier mais tandis que j’y travaillait, l’idée du nu ou bien du titre je ne me souviens pas lequel des deux me vint à l’esprit. » Marcel Duchamp
Marcel DUCHAMP, 1887/1968, Nu descendant l'escalier n° 2, 1912, Huile sur toile, 147 x 89,2 cm,Philadelphia Museum of Art, Louise and Walter Arensberg Collection. Détail du titre


« le titre est la couleur invisible qu’il ajoute au tableau ». 
 Duchamp

La descente de l'escalier en tant que synthèse est peut-être le rapport à la mort de l'aspect rétinien des choses
Anonyme, Femme jouant aux échecs avec la mort : fresque murale ,1518 in the St.
Margarethenkirche, Ilanz in Graubunden (switzerland).


Arnold ROSENBERG, Marcel Duchamp playing chess on a sheet of Glass, 1958, silver gelatin prints ( 11 x 14 inches) 
 Le féminin de Duchamp joue cette partie d'échec contre la mort
Death playing chess print engraved by the Monogrammist BR & Anchor-- late 15C. 1401 1500, 15 Jahrhundert, 1500 Ce, Br, Print Plates

 Duchamp fait participer le public à cette partie d'échec contre la mort

La partie d'échec contre la mort est peut-être ce lien avec la transformation ultime et le passage vers le monde de l'esprit " je voulais remettre la peinture au service de l'esprit. " dit Duchamp qui entraine avec lui les spectateurs dans cette transformation métaphysique

Albertus PICTOR (1440-1507) Death playing chess, Täby kyrka, Diocese of Stockholm; peintre suédois de fresques d'églises ; cette œuvre représentant la mort jouant aux échecs, a inspiré à Ingmar Bergman son film Le Septième Sceau en 1957. 
  Arnold EAGLE ,American, 1909–1992 , Marcel Duchamp et Larry Evans jouant aux echecs pendant le tournage de dadascope, 1958 ,gelatin silver print ,12.5 x 17 cm. (4.9 x 6.7 in.)

En troisième lieu le masculin de Duchamp et ainsi la globalité de Duchamp, de son œuvre et des spectateurs opère ce passage vers le monde de l'esprit.


Duchamp et les saints

Oriol MASPONS, Spanish, born 1928, Marcel Duchamp, 1960, gelatin silver print, 24 x 16.5 cm. (9.4 x 6.5 in.) Museo de Nacional de Catalunya
DUCHAMP AU PARADIS
 va explorer son propre aspect féminin, prudent dans son rapport à Eve des origines, mais aussi dans son rapport au jeu d'échecs dans l'interaction entre le roi et la reine. 
Man RAY, American, 1890 – 1976,Ciné-Sketch: Adam and Eve(Marcel Duchamp and Bronia Perlmutter)1924, Gelatin silver print (28.2 x 21.7 cm) , © Man Ray Trust / Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, ParisCuratorial Department: Prints, Drawings, and Photographs philadelphia museum of art

Cinésketch est un spectacle parfois oublié, totalement exotique, même dans le répertoire très étrange des Ballets Suédois. Cinésketch fonctionne comme une œuvre d’art participative puisque Picabia appelle par téléphone les autres artistes en leur proposant d’intervenir. Ce n’est pas tout à fait un happening parce qu’il y a eu une générale et c’est à cette occasion que Man Ray est présent et chorégraphie le strip-tease de Marcel Duchamp et Bronia Perlmutter, qui, là encore, réalisent un « tableau vivant » inspiré de Cranach. On a du mal à imaginer ce que pouvait donner Cinésketch. C’est le premier happening. On voit Adam et Eve. Mais lui porte une montre de luxe et Eve un beau collier très précieux. C’est une attaque contre les normes bourgeoises Pour le coup, il est difficile de réaliser que ça s’est passé sur la scène du théâtre des Champs-Élysées un soir de Nouvel An 1924.
On est dans la définition de l’œuvre qui va s’imposer au XXe siècle : multimédia, discursive et hybride. Mais avec Duchamp sur la réserve en face de Bronia Perlmutte/ Eve