150-LES CINÉASTES ET LE TEMPS


Le cinéaste Raoul RUIZ , réalisateur franco-chilien né à Puerto Montt, Chili, 25 juillet 1941 mort à Paris, 19 août 2011, dit:
« Le cinéma est toujours très subjectif. Plus subjectif d’ailleurs qu’on pourrait l’imaginer.[...] Quand un spectateur va dans une salle pour voir un film de deux heures, il voit une heure d’image et une heure d’écran noir. Ce qui est littéralement vrai. Puisque le déroulement d’un film est le suivant : image, obturateur, image, obturateur… Donc, lorsque nous voyons un film de deux heures, nous avons vu une heure d’image, et l’heure restante, c’est nous qui la comblons.
Cette remarque m’a tellement intéressé que je suis allé voir des chercheurs en neurologie à l’Université d’Aberdeen pour qu’ils travaillent sur ce phénomène. Ce que l’on sait pour le moment,
c’est que sur un film de trois heures, on voit quarante minutes de noir absolu. Qu’est-ce qui se passe durant ces quarante minutes ?
Quand on nous projette un film, au début, lors de ces « écrans noirs », il ne se passe rien. On ne voit que du noir. Au bout d’un moment, nous projetons nous-mêmes un autre film sur le film, ou plutôt on se projette le même film mais modifié. On voit donc deux films.
Et j’ai une formule qui en un sens peut fonctionner : un film est intéressant dans la mesure où il nous regarde. Si le film ne vous regarde pas, c’est qu’il n’est pas bon. »
(cité par J. C. Vergne catalogue de l’exposition)


Dans le film Sleep d' Andy Warhol, Le temps réel est 5h 21,
Le temps de réalisation est de 4 mois, Le temps exprimé est le cyclique, faussement étiré, Le temps suggéré est la répétition mais avec de subtiles variations , Le temps symbolisé est la
manipulation de l’image et du temps qui interrogent le spectateur


Andy WARHOL (Né en 1928 à Pittsburgh Mort en 1987 à New York), Sleep, 1963 : film de 16 images par seconde au lieu de 24, durée 5h21. Collection du Andy Warhol Museum, Pittsburg (Don de la Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc., 1997)Le poête John GIORNO endormi.

Diffusé à la vitesse de 16 images par seconde au lieu de 24 images par secondes, temps classiques du cinéma, Sleep ne montre qu’une chose - le poète John Giorno endormi - durant près de six heures.
Sleep n’est pas un plan séquence ; il a fallu près de deux mois à Andy Warhol pour le tournage et quelques mois supplémentaires pour réaliser un montage extrêmement complexe - certaines images
sont répétées de cinq à vingt fois tout au long du film). Ce n’est donc pas la continuité du plan fixe qui intéresse ici Warhol mais la nécessité de rompre totalement avec les habitudes du cinéma du fait
de l’absence de narration et de la récurrence des images. Une récurrence que Warhol aura d’ailleurs utilisée tout au long de sa carrière et qui vise à interroger le regard du spectateur face à ce qu’il tient pour acquis. Avec Sleep, qui fut le premier film réalisé par l’artiste, on fait l’expérience d’une durée tout à la fois étirée et totalement faussée, comme une répétition sans fin et toujours modifiée de la même image.

Andy WARHOL (Né en 1928 à Pittsburgh Mort en 1987 à New York), Sleep, 1963 : film de 16 images par seconde au lieu de 24, durée 5h21. Collection du Andy Warhol Museum, Pittsburg (Don de la Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc., 1997)Le poête John GIORNO endormi.

Un an après Sleep, Andy WARHOL tournera (avec l’aide de Jonas Mekas, également présent à la Sucrière) Empire, un plan fixe de huit heures sans interruption de l’Empire State Building à New York.



Andy Warhol, Empire, 1964/The Andy Warhol Museum Empire est un film d’Andy Warhol en noir et blanc. L’idée était de filmer l’Empire State Building en plan fixe depuis le coucher du soleil jusqu’au noir complet. Le film a été tourné durant la nuit du 25 au 26 juillet 1964 de 20 h 6 à 2 h 42 du matin depuis les bureaux dela Rockefeller Foundation situés au 41e étage du Time-Life Building.

Le film commence avec un écran totalement blanc et, alors que le Soleil se couche, l’image de l’Empire State Building apparait. L’éclairage extérieur de la tour s’enclenche et les lumières des bureaux s’allument et s’éteignent à différents étages pendant les six heures et demie qui suivent. Puis l’éclairage extérieur s’éteint et le reste du film est pratiquement noir. On aperçoit parfois Andy Warhol et Jonas Mekas, qui opérait la caméra, par réflexion sur les vitres du bureau. Tourné en 24 images par seconde, le film a été ralenti par Warhol pour être projeté en 16 images par seconde. 6 heures et 36 minutes de film furent tournées et la projection
ainsi ralentie dure environ 8 heures et 5 minutes. Warhol en a toujours refusé la diffusion abrégée, la difficulté de visionnage étant un élément intégral de l’oeuvre.

Warhol : “Ce qu’il y a de bien dans mes films, c’est que l’on peut s’absenter, aller aux toilettes, manger et revenir les voir. La plupart du temps on n’a pas raté grand- chose.” Cela doit pouvoir se vérifier avec Empire (un plan fixe sur l’Empire State Building : 8 heures) ou Sleep (un homme qui dort : 6 heures).


Dans le film Empire, le temps de réalisation est en tant que date et durée la nuit du 25 au 26 juillet 1964 de 20 h 6 à 2 h 42 , 6h36mn, Le temps réel du film est étiré à 8h5mn, Le temps exprimé sont les changements lumineux du building durant la nuit, Le temps symbolisé est la suspension hors du temps par un plan fixe, Le temps de l’oeuvre est linéaire, Le temps de lecture est le passage du jour à la nuit, Le temps du dévoilement va de l’apparition à la disparation du building



Dans le film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. de Chantal AKERMAN, Le temps réel est de 3 jours, Le temps exprimé est le quotidien de la vie d'une femme, Le temps suggéré est la routine des actes et gestes, Le temps symbolisé est la

solitude et le désespoir


 Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. film de Chantal AKERMAN,1975 durée 3h 45m Genre : Drame social. Avec : Chantal Akerman (la voisine, voix), Delphine Seyrig (Jeanne Dielman), Henri Storck (Le1er client)
 Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. film de Chantal AKERMAN,1975 durée 3h 45m Genre : Drame social. Avec : Chantal Akerman (la voisine, voix), Delphine Seyrig (Jeanne Dielman),
 Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. film de Chantal AKERMAN,1975 durée 3h 45m Genre : Drame social. Avec : Chantal Akerman (la voisine, voix), Delphine Seyrig (Jeanne Dielman),
 Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. film de Chantal AKERMAN,1975 durée 3h 45m Genre : Drame social. Avec : Chantal Akerman (la voisine, voix), Delphine Seyrig (Jeanne Dielman),

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. film de Chantal AKERMAN,1975 durée 3h 45m Genre : Drame social. Avec : Chantal Akerman (la voisine, voix), Delphine Seyrig (Jeanne Dielman), Jan Decorte (Sylvain, son fils), Henri Storck (Le1er client), Jacques Doniol-Valcroze (Le second client), Yves Bical (Le troisième client)
 Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles, ce titre est en forme d’adresse postale pour trois jours de la vie d’une ménagère belge, prostituée d’occasion. elle filme aussi ce que personne avant elle ne pensait digne d’intérêt : un repas de soupe et pommes de terre, préparer une escalope panée ou éplucher des pommes de terre, autant d’activés filmées en temps réels. Jean-Marc Lalanne rappelle qu’elle allait pourtant plus loin et ouvrait là une voie inédite au cinéma : filmer le quotidien, ses rites rassurants, sa routine aliénante et en faire une bombe à retardement lorsque l’on dérègle les procédures.

Dans le film 24 Hour Psycho réalisé par Douglas GORDON : Le temps de lecture du film original est 109mn, Le temps réel et le temps de réalisation sont identiques, 24h, Le temps répété est la citation du film de Hichcock, Le temps symbolisé est le découpage du montage d’origine étiré sur 24h mais pas les 24h de l’action, le temps et la mémoire, l’histoire sont un hommage à Hichcock



24 Hour Psycho est un film réalisé par Douglas GORDON, artiste contemporain écossais, en 1993.

Cette oeuvre est une version très ralentie du grand classique d’Alfred HITCHCOCK, Psychose. Le film propose 2 images par seconde au lieu de 24. La version ralentit proposé par Gordon dure donc 24 heures au lieu de 109 minutes d’où le titre de « 24 Hour ». Cette oeuvre s’inscrit dans le travail de l’artiste autour des images animées qui confrontent deux films par leur projection et par l’utilisation de jeux de miroirs. L’oeuvre a été projetée au MoMa (Museum of Modern Art) de New-York au printemps 2006.
L’installation est minutieusement décrite dans le roman Point Oméga de Don De Lillo.

 
Dans The Clock film de Christian Marclay, Le temps de la réalisation est de 3 ans . Le temps réel est 24h. Le temps figuré  veut montrer 24h. Le temps exprimé est un ensemble d’horloges qui ponctue chaque minute des 24h. Le temps répété sont les citations de films relatives au temps. Le temps de lecture est la succession, le collage d’extraits de films. Le temps de la mémoire veut garder l’histoire du cinéma
 The Clock, 2010, fruit d’un travail de trois ans par Christian MARCLAY et ses assistants

 The Clock, 2010, fruit d’un travail de trois ans par Christian MARCLAY et ses assistants, consiste en un montage de films de vingt-quatre heures, chaque minute réelle étant dépeinte par l’apparition d’une horloge ou encore la réplique d’un personnage. S’il est 12 h pour les visiteurs, nous verrons Gary Cooper, évidemment dans Le train sifflera trois fois – High Noon en anglais – dans la scène de midi. Le concept peut sembler facilement se résumer, mais il faut – littéralement – prendre son temps et
aller vivre cette curieuse expérience cinématographique qu’est The Clock. Les places sont limitées pour le visionnement, mais les sièges ont été aussi conçus expressément par l’artiste pour sa pièce.
24 h/ 7e art C’est aussi un hommage obsessif au cinéma, un retour à travers son histoire et ses effigies, de James Bond à Charlie Chaplin. Un éloge du 7e art, certes, mais qui est soumis au temps, ce dernier étant sa trame narrative. Ainsi, regarder The Clock est une situation à la fois fascinante et frustrante.


Dans la photographie de Hiroshi SUGIMOTO  "cabot street cinema, massachusetts "1978 : Le temps de réalisation est le temps de pose qui est créateur. Le temps symbolisé est la durée qui efface le temps. Le temps du dévoilement est la disparition du film. Le temps exprimé est le désir de tout voir, tout le temps. Le temps réel est le hasard



 Hiroshi SUGIMOTO cabot street cinema, massachusetts 1978 , Photographie papier gelatino
bromure
Hiroshi Sugimoto travaille la photographie avec de très longs temps de poses, il photographie l’écran de salles de cinéma en temps très longs et c’est l’ensemble du film qui est concentré en une seule image. Içi la durée conduit à l’effacement, à vouloir trop voir on arrive à une absence totale d’image.