Nous allons étudier la relation du spectateur aux images des transparents de Carmontelle. La centralité du spectateur et son rapport à l'espace, dans son face à face avec les transparents de Carmontelle, va être notre question.
Le support de la réflexion est le PDF "PETITE HISTOIRE DES PANORAMAS ou la fascination de l’illusion par Claude Lamboley" au lien suivant "PETITE HISTOIRE DES PANORAMAS"
Nous citerons un extrait de Claude Lamboley
" Si l’on remonte plus loin dans le temps, on peut trouver une certaine filiation entre ces panoramas, les transparents de Carmontelle et la tapisserie de Bayeux, dite tapisserie de la Reine Mathilde. ......
La tapisserie de Bayeux Cette œuvre, unique et spectaculaire, a été exposée pour la première fois dans la cathédrale de Bayeux, en 1077. C’est une bande de toile de 50 cm de large et de 70 m de long, qui devait être accrochée le long des murs de la cathédrale, à l’occasion de circonstances exceptionnelles. A la différence des transparents de Carmontelle, cette bande de tissu, d’ailleurs non transparente, n’est pas faite pour se dérouler devant un spectateur, mais c’est ce dernier qui, en se déplaçant le long de la tapisserie, peut suivre le déroulement de l’histoire. Cependant, la finalité est la même. Comme dans les transparents, cette tapisserie est une véritable bande dessinée. Entièrement brodée, elle raconte une histoire se déroulant dans le temps : celle du débarquement en Angleterre de Guillaume le Conquérant........Si, pour la tapisserie de Bayeux le spectateur est obligé de se déplacer pour suivre le déroulement de l’histoire qui lui est racontée, si, dans les transparents de Carmontelle, par un déroulement mécanique du papier translucide, l’observateur peut suivre l’histoire confortablement assis, dans les panoramas, le public se trouve placé au centre du spectacle......."
Chef d’oeuvre de l’art roman du 11ème siècle, la Tapisserie de Bayeux a probablement été commandée par l’évêque Odon, demi-frère de Guillaume, pour orner sa nouvelle cathédrale en 1077. Elle raconte les évènements de la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie. Le récit commence en 1064, lorsque le roi d’Angleterre, Edouard le Confesseur, charge son beau-frère, Harold, de se rendre en Normandie afin de proposer à son petit cousin, Guillaume, le trône d’Angleterre.
Le navire d’Harold traverse la Manche et après maintes péripéties, il transmet le message du roi Edouard à Guillaume. Avant de s’en retourner en Angleterre auprès du vieux roi, Harold prête serment de fidélité à Guillaume sur les reliques de la cathédrale de Bayeux. À la mort d’Edouard, Harold se parjure.
Le 6 janvier 1066, il accepte d’être couronné roi d’Angleterre à la place du duc de Normandie. À cette nouvelle, Guillaume décide d’aller reconquérir son trône et traverse la Manche avec sa flotte dans la nuit du 28 septembre. Au matin du 14 octobre 1066, la bataille d’Hastings s’engage entre l’armée de Guillaume et les hommes d’Harold. Elle sera décisive, Harold mourra à la fin de la journée d’une flèche dans l’oeil. Guillaume est enfin couronné roi d’Angleterre en décembre 1066 à l’Abbaye de Westminster.
La Tapisserie n’est pas seulement la narration d’une épopée militaire, elle est également une oeuvre spirituelle qui évoque la punition d’un parjure.
La Tapisserie comporte 58 scènes dont 25 scènes sont en France et 33 en Angleterre. 10 scènes sont consacrées à la Bataille d’Hastings. 9 pièces de toile de lin sont assemblées sur une longueur de 68,58 mètres. 10 couleurs de fils de laine servent à représenter avec des effets de perspective, les 626 personnages, les 37 édifices dont le Mont-Saint-Michel, les 41 navires et autres 202 chevaux et mulets. La Tapisserie de Bayeux est inscrite au registre Mémoire du Monde par l'UNESCO . (Le musée de Bayeux)
Nous dirons que dans la tapisserie de Bayeux, dite " tapisserie de la Reine Mathilde" le spectateur se déplace, il marche devant l'oeuvre pour la découvrir et dans les transparents de Carmentelle il est assis et les images défilent . Et même si les deux racontent une histoire qui se déroule dans le temps, le rapport du spectateur à l'image n'est pas le même et surtout n'a pas la même impact sur celui ci.
Ainsi nous dirons que le spectateur qui marche devant la tapisserie de Bayeux est en lien avec l’école péripatéticienne philosophique fondée par Aristote en 335 av. J-C au Lycée d’Athènes. Celle ci tire son nom du terme grec peripatein, « se promener » : il est en effet dit qu’Aristote enseignait au Lycée en se promenant. Aristote et l’école péripatéticienne sont préoccupés par le rapport entre la pensée et la déambulation, entre le marcheur et le penseur .
La marche est notre élément primordial, elle est en ce sens une action constructive, elle est un pouvoir, une puissance, par son rythme et sa cadence, elle absorbe ce à quoi l'on fait face et sa continuité pas à pas, met de l'ordre et de la clarté dans la multitude nos perceptions internes .
Elle accompagne la quête, la recherche, le désir de comprendre est inhérent à la marche qui de par sa répétition, son mouvement et son tempo organisent l'ossature d'une construction de soi et du monde que l'on regarde et qui participe de la même cadence.
Ainsi nous dirons que le spectateur qui marche devant la tapisserie de Bayeux est en lien avec l’école péripatéticienne philosophique fondée par Aristote en 335 av. J-C au Lycée d’Athènes. Celle ci tire son nom du terme grec peripatein, « se promener » : il est en effet dit qu’Aristote enseignait au Lycée en se promenant. Aristote et l’école péripatéticienne sont préoccupés par le rapport entre la pensée et la déambulation, entre le marcheur et le penseur .
La marche est notre élément primordial, elle est en ce sens une action constructive, elle est un pouvoir, une puissance, par son rythme et sa cadence, elle absorbe ce à quoi l'on fait face et sa continuité pas à pas, met de l'ordre et de la clarté dans la multitude nos perceptions internes .
Elle accompagne la quête, la recherche, le désir de comprendre est inhérent à la marche qui de par sa répétition, son mouvement et son tempo organisent l'ossature d'une construction de soi et du monde que l'on regarde et qui participe de la même cadence.
Roland Barthes dit dans Les Mythologies, que « marcher est peut-être, mythologiquement , le geste le plus trivial, donc le plus humain " .
Mais un film de Bernard Émond fait référence aux aborigènes et à leur relation essentielle à la marche : « Vous marchez toujours et vous vous rappelez que chez les aborigènes australiens, la marche est sacrée. Les aborigènes croient que les dieux ont créé le monde en marchant et qu’il faut marcher pour maintenir son existence. Ils croient que s’ils ne marchent pas, le monde va cesser d’exister , (Bernard Émond, Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces, Montréal, Cinéma libre, coll « Portrait au cinéma », 1992. . »)Ce rapport essentiel et sacré à la marche n’est pas sans rappeler celui des hébreux en route vers la Terre promise, guidés par la voix de Dieu, comme si l’évolution d’un peuple ou d’une tribu allait nécessairement de paire avec un mouvement vers l’inexploré.
Des écrivains du siècle des Lumières, aux romantiques et même à Nietzsche, affirment que « seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose »
Solnit écrit qu’« idéalement, marcher est un état où l’esprit, le corps et le monde se répondent » (AM, p. 12). Le regard du marcheur modifie sans cesse le paysage : notre perception évolue, comme si le monde tournait autour de nous, comme si tout se construisait autour de notre regard et par lui. Marcher et penser sont difficilement dissociables et idéalement, le corps et l’esprit seraient actifs au même degré, en harmonie, pour que la promenade ait lieu. La marche ouvre la voie aux sens, à la sensation, comme l’écrit David Le Breton : « Elle plonge dans une forme active de méditation sollicitant une pleine sensorialité. »
La posture à adopter dans la marche est celle de la disponibilité totale au lieu et aux choses qui nous entourent . Ainsi la marche du spectateur devant La tapisserie de Bayeux est une synthèse entre l’esprit, le corps et les images qui s'enchainent et suivent le rythme du corps, dans la quête de compréhension que la marche génère et accompagne . Le regard du marcheur s'implante dans l'oeuvre et la perception alors se développe, s’épanouit et prend place au cœur du sens et de la signification de l'objet regardé en marchant, comme si l'oeuvre se construisait autour et dans le regard et par lui. Marcher, regarder et comprendre rassemble le spectateur, l'oeuvre, le regard et le sens qui sont actifs au même niveau, en accord, dans l'action de la promenade .
Mais, à la différence de La tapisserie de Bayeux, dans les transparents de Carmontelle le spectateur est assis et les images défilent devant lui . Nous pouvons alors citer le cinéaste Raoul RUIZ , réalisateur franco-chilien né au Chili en 1941 et mort à Paris en 2011, il dit:
« Le cinéma est toujours très subjectif. Plus subjectif d’ailleurs qu’on pourrait l’imaginer.[...] Quand un spectateur va dans une salle pour voir un film de deux heures, il voit une heure d’image et une heure d’écran noir. Ce qui est littéralement vrai. Puisque le déroulement d’un film est le suivant : image, obturateur, image, obturateur… Donc, lorsque nous voyons un film de deux heures, nous avons vu une heure d’image, et l’heure restante, c’est nous qui la comblons.
Cette remarque m’a tellement intéressé que je suis allé voir des chercheurs en neurologie à l’Université d’Aberdeen pour qu’ils travaillent sur ce phénomène. Ce que l’on sait pour le moment,
c’est que sur un film de trois heures, on voit quarante minutes de noir absolu. Qu’est-ce qui se passe durant ces quarante minutes ?
Quand on nous projette un film, au début, lors de ces « écrans noirs », il ne se passe rien. On ne voit que du noir. Au bout d’un moment, nous projetons nous-mêmes un autre film sur le film, ou plutôt on se projette le même film mais modifié. On voit donc deux films.
Et j’ai une formule qui en un sens peut fonctionner : un film est intéressant dans la mesure où il nous regarde. Si le film ne vous regarde pas, c’est qu’il n’est pas bon. »
(cité par J. C. Vergne catalogue de l’exposition)
Ainsi dans les transparents de Carmontelle, le spectateur, durant le temps consacré à tourner la manivelle pour faire avancer le transparent, se retrouve face à ce que Raoul Ruiz appelle voir une heure d’image et une heure d’écran noir, le déroulement d’un film étant : image, obturateur, image, obturateur…dans les transparents de Carmontelle c'est le tour de manivelle qui donne le rapport : image, lumière, image, lumière .. et donc la moitié du temps le spectateur projette un autre film sur le film, ou plutôt se projette le même film mais modifié par sa propre perception de l'histoire qui est projetée pendant les temps de blanc lumineux .
Mais un film de Bernard Émond fait référence aux aborigènes et à leur relation essentielle à la marche : « Vous marchez toujours et vous vous rappelez que chez les aborigènes australiens, la marche est sacrée. Les aborigènes croient que les dieux ont créé le monde en marchant et qu’il faut marcher pour maintenir son existence. Ils croient que s’ils ne marchent pas, le monde va cesser d’exister , (Bernard Émond, Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces, Montréal, Cinéma libre, coll « Portrait au cinéma », 1992. . »)Ce rapport essentiel et sacré à la marche n’est pas sans rappeler celui des hébreux en route vers la Terre promise, guidés par la voix de Dieu, comme si l’évolution d’un peuple ou d’une tribu allait nécessairement de paire avec un mouvement vers l’inexploré.
Des écrivains du siècle des Lumières, aux romantiques et même à Nietzsche, affirment que « seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose »
Solnit écrit qu’« idéalement, marcher est un état où l’esprit, le corps et le monde se répondent » (AM, p. 12). Le regard du marcheur modifie sans cesse le paysage : notre perception évolue, comme si le monde tournait autour de nous, comme si tout se construisait autour de notre regard et par lui. Marcher et penser sont difficilement dissociables et idéalement, le corps et l’esprit seraient actifs au même degré, en harmonie, pour que la promenade ait lieu. La marche ouvre la voie aux sens, à la sensation, comme l’écrit David Le Breton : « Elle plonge dans une forme active de méditation sollicitant une pleine sensorialité. »
La posture à adopter dans la marche est celle de la disponibilité totale au lieu et aux choses qui nous entourent . Ainsi la marche du spectateur devant La tapisserie de Bayeux est une synthèse entre l’esprit, le corps et les images qui s'enchainent et suivent le rythme du corps, dans la quête de compréhension que la marche génère et accompagne . Le regard du marcheur s'implante dans l'oeuvre et la perception alors se développe, s’épanouit et prend place au cœur du sens et de la signification de l'objet regardé en marchant, comme si l'oeuvre se construisait autour et dans le regard et par lui. Marcher, regarder et comprendre rassemble le spectateur, l'oeuvre, le regard et le sens qui sont actifs au même niveau, en accord, dans l'action de la promenade .
Mais, à la différence de La tapisserie de Bayeux, dans les transparents de Carmontelle le spectateur est assis et les images défilent devant lui . Nous pouvons alors citer le cinéaste Raoul RUIZ , réalisateur franco-chilien né au Chili en 1941 et mort à Paris en 2011, il dit:
« Le cinéma est toujours très subjectif. Plus subjectif d’ailleurs qu’on pourrait l’imaginer.[...] Quand un spectateur va dans une salle pour voir un film de deux heures, il voit une heure d’image et une heure d’écran noir. Ce qui est littéralement vrai. Puisque le déroulement d’un film est le suivant : image, obturateur, image, obturateur… Donc, lorsque nous voyons un film de deux heures, nous avons vu une heure d’image, et l’heure restante, c’est nous qui la comblons.
Cette remarque m’a tellement intéressé que je suis allé voir des chercheurs en neurologie à l’Université d’Aberdeen pour qu’ils travaillent sur ce phénomène. Ce que l’on sait pour le moment,
c’est que sur un film de trois heures, on voit quarante minutes de noir absolu. Qu’est-ce qui se passe durant ces quarante minutes ?
Quand on nous projette un film, au début, lors de ces « écrans noirs », il ne se passe rien. On ne voit que du noir. Au bout d’un moment, nous projetons nous-mêmes un autre film sur le film, ou plutôt on se projette le même film mais modifié. On voit donc deux films.
Et j’ai une formule qui en un sens peut fonctionner : un film est intéressant dans la mesure où il nous regarde. Si le film ne vous regarde pas, c’est qu’il n’est pas bon. »
(cité par J. C. Vergne catalogue de l’exposition)
Ainsi dans les transparents de Carmontelle, le spectateur, durant le temps consacré à tourner la manivelle pour faire avancer le transparent, se retrouve face à ce que Raoul Ruiz appelle voir une heure d’image et une heure d’écran noir, le déroulement d’un film étant : image, obturateur, image, obturateur…dans les transparents de Carmontelle c'est le tour de manivelle qui donne le rapport : image, lumière, image, lumière .. et donc la moitié du temps le spectateur projette un autre film sur le film, ou plutôt se projette le même film mais modifié par sa propre perception de l'histoire qui est projetée pendant les temps de blanc lumineux .
Ainsi nous pouvons poser en référence contemporaine à ces temps de lumière où le spectateur fait son propre film: les photographies sur le thème des Théatres de Hiroshi Sugimoto.
Hiroshi Sugimoto 1948, Japon,Ohio Theater, Ohio (1980)© Hiroshi Sugimoto, Theaters
Sugimoto est réputé pour son excellente technique photographique, centrée sur l'utilisation de chambres de grand et très grand format, 4x5 et 8×10 pouces, et des expositions extrêmement longues.
En 2018, pour sa onzième édition d’art contemporain à Versailles, le château invite Sugimoto à exposer dans les jardins du domaine de Trianon.
Depuis la fin des années 1970, Sugimoto a entamé une série, intitulée Theaters, dans laquelle il réalise des poses longues de vieilles salles de théâtres reconverties en cinémas et de drive-in américains. Aidé d’un appareil photo grand format de type 4×5, il capture l’ensemble de la scène en exposant le film de son appareil durant toute la durée de la séance. L’image obtenue dévoile un écran d’un blanc laiteux, unique source lumineuse plongée dans un décor sombre où se détachent des sièges vides de cinéma ou des structures extérieures, comme une aire pour enfants. La dynamique de cette série se fonde sur le jeu entre l’ombre et la lumière, offrant une atmosphère légèrement irréelle et éthérée.
Hiroshi Sugimoto 1948, Japon Everett Square Theater, Boston (2015)© Hiroshi Sugimoto, Theaters
A travers ces photographies, en apparence vides d’animation, Sugimoto ne questionne pas seulement la notion de temps en photographie, souvent définie comme la prise d’un moment instantané. Il cherche aussi à représenter une histoire, celle du film visionné en lui-même, mais aussi celle de la vie, et du temps qui passe. L’écran blanc, témoin d’un trop-plein d’informations qui laisse place à du vide, agit comme une métaphore de la mémoire collective et du poids du passé sur le présent. l'écran blanc étincelant ressemblait à un portail vers une autre dimension.