243- LA BEAUTÉ

Nous allons étudier la notion de Beauté en lien avec la perception de l'espace et l'expression ce celui ci dans le cadre d'un enseignement donné en classe de Mastere 2 Architecture intérieure, design et scénographie du luxe. ( Les exercices suivants y seront développés ) :
244- ARCHITECTURE PROJET 1 " LA BEAUTÉ ET LE GENRE IDÉAL " 
245- GUERLAIN, L'ART, LES MÉTIERS D'ART ET L'ART CONTEMPORAIN
247- ARCHITECTURE PROJET SOLO, LA BEAUTÉ ET LE GENRE IDÉAL

Dans le "Prologue d'Une saison en enfer" (avril-août 1873) Arthur Rimbaud 
(poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille) écrit :
" Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée. "

Extrait du texte suivant : " Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
"Tu resteras hyène, etc..." se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Ah ! j'en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné. "


Nous allons questionner cet aspect " Amère " de la Beauté cela à travers Le Jugement esthétique de Kant et La Beauté convulsive d' André Breton.
Nous préciserons la nature de l'outil du jugement esthétique utilisé par Kant qu'est "La sensibilité " 

L'esthétique est toute forme de saisie immédiate et intuitive d'un contenu. Kant nommera « esthétique transcendantale » la première partie de sa Critique de la Raison Pure dans laquelle il élabore une théorie de la sensibilité. La sensibilité n'est pas comprise par Kant comme une faculté inférieure à l'intelligence, comme de l'intelligence obscurcie. Elle est une faculté ayant sa dignité et son fonctionnement propre, une faculté essentielle à la construction d'une pensée conceptuelle.(

Evelyne Buissière professeur de philosophie en classes préparatoires GE. Lyon)
En 1750 Baumgarten publie un ouvrage intitulé « Esthétique théorique ». Il y soutient la possibilité d'une science du sensible : « L'esthétique est la science de la connaissance sensible. ». Il y a donc une connaissance sensible et non seulement des illusions sensibles et cette connaissance sensible est objet d'une théorisation.Kant réinvente deux fois l’esthétique : comme théorie transcendantale de la sensibilité dans la Critique de la raison pure et comme théorie du jugement de goût dans la Critique de la faculté de juger. L’esthétique ne désigne pas primitivement la théorie du beau ou des Beaux arts, mais la théorie du sensible. De ce point de vue, avant sa refondation dans la Critique de la faculté de juger, sous la forme d’une théorie du jugement réfléchissant, l’esthétique naît dans la Critique de la raison pure où Kant renonce à la réduction « dogmatique » du sensible à l’empirique, et lui découvre au contraire une dimension transcendantale. Mais, malgré toute la distance qui sépare la perspective de l’« Esthétique transcendantale » de l’analyse de la « faculté de juger esthétique », le plus grand mérite de Kant a peut-être été, comme le souligne Henry Maldiney, d’avoir uni « sous ce nom d’esthétique en référence avec l’aisthesis, la théorie de l’art et la théorie de l’espace et du temps », « la condition apriorique de tout monde possible » et
l’aptitude spécifiquement humaine à goûter le beau. Dans un prolongement phénoménologique de Kant, on dira que la sensibilité est, en même temps, la condition a priori du monde (ou de la phénoménalité de l’objet de connaissance), du beau et de l’art. Si l’art relève bien de l’esthétique, c’est qu’il exprime et déploie tous les pouvoirs de la sensibilité, réactualisant et rendant manifeste, pour lui-même, ce moment de l’ouverture « esthétique » de l’homme au monde : « dans la mesure où il est la mise en oeuvre des pouvoirs de la sensibilité, l’art ne constitue pas un domaine à part, il entre en résonance avec le monde, tout le monde possible en général, s’il est vrai que celui-ci est un monde sensible, prenant naissance dans la sensibilité et porté par elle »  (L'art - Esthétique - Laurent et Nathalie Cournarie)


extraits de "Kant ou la question du temps " 
de Michel Nolé -Langlois

Ainsi La Sensibilité, la Perception et l'Intuition sont à partir de Kant considérés comme des outils de connaissance et l'Esthétique comme une science ( L'esthétique définit étymologiquement la science du sensible ), et c'est à partir de cela que l'art s'est démocratisé, la sensibilité étant simultanément la condition a priori du monde (ou de la phénoménalité de l’objet de connaissance), du beau et de l’art.

Les caractéristiques de la Beauté d'après Jacques Derrida:

La beauté est l'expérience d'une non connaissance car il y a dans cet objet qui ne manque de rien la trace d'une absence Selon Kant (§17 de la Critique de la faculté de juger), pour qu'un objet soit beau, il faut à la fois :
- que nous percevions dans la forme de l'objet qu'il a une finalité,
- que nous n'ayons pas accès, par un savoir déterminé, à cette finalité.
Nous percevons cet objet que nous trouvons beau comme étant une finalité dissociée de sa fin .
Derrida isole le "sans" du sans-fin. Pour qu'il y ait beauté, il faut que manque un certain savoir, que nous ignorons, mais qui a laissé une trace dans l'objet. Cette trace de savoir se laisse voir au bord de l'objet (ni à l'extérieur, ni à l'intérieur,  mais comme un cadre, un parergon).
On ne sait pas pourquoi ce que l'on trouve beau est beau et cette limite est irréductible : ce non-savoir, c'est précisément ce que l'on perçoit de l'objet et cette perception qui constitue les intuitions intérieures, tend vers quelque chose qui se situe au-delà des limites de l'expérience et c'est cet espace infini/non fini qu'on appelle le beau.
Ce non-savoir coexiste avec un investissement de l'espace qui est celui de la limite impalpable et en même temps inévitable créée par le fait que trouver un objet beau soustrait celui ci à toute fin utile, utilitaire 


Est beau l'objet d'une satisfaction qui résulte d'un jugement de goût, indépendamment de tout intérêt
Ce qui compte à ce stade n'est pas l'existence ou l'utilité de la chose, c'est comment nous en jugeons, sans prendre en considération notre intérêt propre, mais seulement notre perception. Dans cette relation, ce n'est pas la jouissance qui est recherchée, mais le jugement désintéressé. 


Pour qu'il y ait sentiment de beauté, il faut que l'objet beau soit coupé de son but; devant cet abîme, nous restons bouche bée 
"la beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans la représentation d'un fin". Qu'est-ce qu'une finalité sans fin?
Kant (Critique de la Faculté de Juger, dans une note à la fin du §17) donne l'exemple de la tulipe sauvage. Il faut que la tulipe soit sauvage, car Kant est à la recherche de la beauté naturelle, c'est-à-dire libre. Dans la nature, tout semble finalisé, harmonieusement organisé autour d'une fin, mais cette fin, nous n'en connaissons ni les raisons, ni les déterminations. Elle est pour nous invisible, incompréhensible, injustifiable, sans concept. La fleur est pour nous sans but. Elle ne manque de rien, elle n'est privée de rien, elle est harmonieuse, elle est une totalité organisée, mais on ne sait pas en vue de quoi : ce non-savoir organise, pour nous, le champ de la beauté. Devant lui, nous sommes bouche bée : incapables d'articuler un discours, bouche ouverte, souffle coupé, parole soufflée. C'est ce que Derrida appelle le "sans de la coupure pure" . La pureté de cette coupure tient au fait que nous ignorons ce dont elle nous prive. Nous restons coupés, sans ...
Jacques Derrida reprend à son compte la problématique kantienne en y ajoutant d'autres dimensions : l'abîme, la trace, la mort, le deuil. On trouve dans la beauté une dialectique analogue : si nous sommes bouche bée, si tout s'arrête, c'est à cause de cette coupure pure (le sans-fin de Kant) qui laisse courir le mouvement sans lui donner aucun contenu. Il n'en reste qu'une trace absolument indéterminée, et voilà : c'est beau.
D'une part, nous avons du plaisir - ce qui est notre intérêt, mais d'autre part, ce plaisir est détaché de tout objet, il est désintéressé.

Le beau appartient à la substance même de l'esprit : il est autonome et originaire et réside dans la création pure

C'est la théorie de Shaftesbury. Le beau n'est ni une idée (au sens de Descartes), ni une sensation (au sens de l'empirisme), il ouvre la voie vers le dépassement de ce conflit schématique. Il exprime l'esprit selon un mode spécifique. il introduit une perspective dynamique. On ne peut pas le réduire à un raisonnement ni à des règles précises
La création d'images et de formes, au centre du processus artistique, révèle son mode d'être, ses règles et son rythme propre. Elle s'appuie sur une intuition esthétique pure. Il en résulte une ouverture au monde de la forme, un plaisir désintéressé, une pure contemplation qui n'est pas une passion de l'âme mais son activité propre

Une idée esthétique est une représentation de la perception qui donne à penser, sans qu'aucun concept ni aucun langage ne la rende intelligible ni ne l'exprime complètement . 
Aucun pensée déterminée, aucune idée de la raison, ne peut s'approprier l'idée esthétique, car la puissance de l'imagination a sa productivité propre, sa capacité de création différente de celle du réel, capable de procéder par association ou analogie pour en faire quelque chose d'autre que le point de départ. Ces idées, qui sont des intuitions intérieures, tendent vers quelque chose qui se situe au-delà des limites de l'expérience. Elles donnent toute leur mesure dans la poésie.
L'imagination est créatrice quand elle élargit sans limite le concept lui-même et met en mouvement la raison, afin de penser plus que ce qui peut être exprimé dans le concept, grâce à des représentations apparentées (peinture, sculpture) ou des attributs (poésie, éloquence)
Trouver l'expression qui convient pour accompagner un concept et être capable de le communiquer, tel est le talent de celui qui s'exprime avec âme.


Les jugements de goût sont esthétiques: dans les jugements de goût, la représentation de l'objet est rapportée au sujet, et non à l'objet. elle est rapportée aux perceptions et ressentis du sujet.
Les jugements de goût sont désintéressés c'est la représentation de l'objet, et non l'objet, qui est rapportée au sujet. Lorsqu'une satisfaction (plaisir) requiert l'existence de l'objet, c'est un intérêt. Lorsqu'une satisfaction ne requiert pas l'existence de l'objet, mais seulement la représentation de celui-ci dans l'imagination, elle est désintéressée. (Kant dit aussi que les jugements de goût sont contemplatifs, p.187.)
«ce qui importe pour dire que l'objet est beau... c'est ce que je fais de cette représentation en moi même, et non ce par quoi je dépends de l'existence de cet objet.» p.183
Les jugements de goût représentent une finalité subjective sans fin
Ce que Kant appelle la finalité, c'est le fait d'être le produit d'une volonté.
«Une fin est l'objet d'un concept, dans la mesure où ce concept est considéré comme la cause de cet objet [...]. La représentation de l'effet est ici le principe déterminant de sa cause. [...] Le pouvoir de désirer, dans la mesure où il ne peut être déterminé à agir que par des concepts [...] serait la volonté.» (p.198-199)
On peut se représenter une finalité sans se représenter de fin. Cela revient à penser qu'une chose a été produite dans un certain but, par une volonté, mais sans qu'on sache de quel but il s'agit.
Kant utilise ici les notion de forme et contenu. La finalité d'une chose est le fait qu'elle soit produite par une volonté. La matière ou contenu de cette finalité, c'est la fin en question. La forme, c'est le simple fait que l'objet ait été produit par une volonté. (Ainsi, la forme de la finalité, prise en ce sens, p.200, est la même pour tous les objets 'finaux'.)
La finalité d'un objet, c'est le fait qu'une volonté a causé son existence. Dans cette finalité, la matière ou la fin de cet objet, c'est ce qui constitue l'objet ( ses matériaux, poids, textures etc .... ) qui n'étaient peut-être pas représentés dans le concept qui l'a fait exister. La forme de la finalité d'un objet, ou la finalité formelle de cet objet, c'est le fait qu'elle soit le produit d'une volonté.

Il n'y a pas de règles du beau et du sublime. Le beau et le sublime ne peuvent être connus par concepts. Il suit qu'il n'y a pas de règle objective qui dit ce qui est beau ou sublime. La beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçu dans cet objet sans représentation d'une fin. Le gout n'est pas un jugement de connaissance, la faculté de juger du beau est esthétique, il n'est pas objectif mais subjectif " il ne désigne rien de l'objet mais simplement de l'état dans lequel se trouve le sujet affecté par la représentation .
Julien Dutant professeur de philosophie à la Sorbonne


Evelyne Buissière, professeur de philosophie en classes préparatoires.  Lyon, dit : 
Le jugement de goût n’est pas un jugement de connaissance, il ne conduit à aucun concept, mais il met un sens, un ordre dans le monde. Il est donc normal de l’aborder par les catégories de l’entendement qui sont la façon la plus générale d’ordonner le divers de l’intuition.
les catégories qui sont celles de l’entendement : quantité, qualité, modalité relation.
Kant va montrer à chaque fois comment dans la mise en oeuvre de ces catégories, le jugement de goût n’apporte pas de connaissance sur le contenu mais échappe pourtant à la relativité d’une définition du goût comme phénomène simplement anthropologique ou social.

Du point de vue de la qualité:
Un objet est beau, nous mettons sa représentation en rapport non aux déterminations de l’objet mais en rapport « au sujet et au sentiment de plaisir et de peine de celui-ci ». C’est la représentation et non l’objet qui est cause du sentiment de plaisir ou de peine. Pour formuler un jugement de goût, il faut être indifférent à l’existence de l’objet. Il ne doit pas nous affecter dans sa matérialité. C’est uniquement sa représentation qui doit être à l’origine du sentiment de plaisir ou de peine. Nous ne sommes donc pas affectés empiriquement. « Le jugement de goût est seulement contemplatif. ». §5. C’est pourquoi Kant parle d’une satisfaction désintéressée. L’intérêt est la satisfaction liée à la représentation de l’existence d’un objet. Il a un rapport avec la faculté de désirer. Dans la contemplation esthétique, aucun intérêt n’entre en jeu. C’est un plaisir libre, « une faveur » dit Kant. La matérialité de l'objet est exclue

Du point de vue de la quantité
« Qui a conscience que la satisfaction produite par un objet est exempte d’intérêt, ne peut faire autrement que d’estimer que cet objet doit contenir un principe de satisfaction pour tous. ». §6. Cette universalité ne se fonde pas sur un concept. C’est une universalité sans concept, une universalité esthétique.
Ce qui est communiqué, ce n’est pas un contenu objectif. C’est un « état d’esprit qui se présente dans le rapport réciproque des facultés représentatives. »§6. Les facultés qui interviennent sont l’imagination (au sens de la capacité à unifier une diversité sensible pour produire une image) et l’entendement (comme capacité à produire la synthèse qu’est le concept). Dans la connaissance, imagination et entendement s’accordent pour produire un concept d’un objet auquel corresponde une intuition. Cet accord est strictement normé par l’objectivité qu’il faut atteindre. Or, dans la représentation esthétique, il n’y a pas de concept : imagination et entendement peuvent fonctionner ensemble sans limites.


Du point de vue de la relation:
On a une fin lorsque la représentation d’un objet le précède et est sa cause. « La représentation de l’effet est alors le principe déterminant de sa cause et la précède. » §10. On a finalité lorsque une volonté a ordonné une action à partir de la représentation d‘une fin et de certaines règles pour l’obtenir. Mais on peut penser une finalité sans représentation claire de la volonté qui en est à l’origine ni des fins qu’elle s’est fixées. On parlera de finalité sans fin : l’objet semble finalisé mais on ne sait pas vers quelle fin. « La finalité peut donc être sans fin dans la mesure où nous ne posons pas les causes de cette forme en une volonté. ».
Kant « la beauté est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle est perçue en celui-ci sans la représentation d’une fin. » Ce sont nos facultés qui fonctionnent de façon finalisées quand nous contemplons la beauté. Ce n’est pas l’objet qui est finalisé.


Du point de vue de la modalité:
Kant conclut ce quatrième et dernier moment : « est beau ce qui est reconnu sans concept comme objet d’une satisfaction nécessaire. ». Il y a une prétention à la nécessité sans concept. C’est une nécessité sans loi qui dérive non de l’objectivité d’un concept mais de l’universalité d’un état subjectif.
Le jugement esthétique n’est pas une espèce de désir puisqu’il ne peut se réduire à la volonté dans son usage inférieur (l’agréable) ou supérieur (le bien). Mais il conserve tout de même les caractères du désir : la satisfaction et le plaisir mais c’est un plaisir esthétique, un plaisir sans désir.
Le jugement esthétique n’est pas une espèce de connaissance, il n’apporte aucune connaissance de l’objet sur lequel il porte.


Kant, Le Beau et Le Sublime
Dans le beau, bien qu’on n’ait pas ce concept, on suppose un concept déterminé, limité, dans le sentiment du sublime, on suppose quelque chose d’illimité, qui dépasse le pouvoir de la représentation et de la conceptualisation. Dans le sublime il y a quelque chose qui dépasse la représentation, la mise en forme : l'illimité
Le sublime ne doit donc pas être cherché dans les choses de la nature mais seulement dans nos idées, il est en nous. Il est dans la faculté de l’esprit. Notre esprit contient une faculté qui dépasse la capacité à mesurer et qui peut appréhender l’idée d’un infini :
« Est sublime ce qui par cela seul qu’on peut le penser, démontre une faculté de l’âme qui dépasse toute mesure des sens. »§25 Kant
Cela pose le problème du rapport de l'art à l'infini : est-ce que l'art est un objet matériel qui révèle un infini ? l'art permet-il de comprendre que l'homme a une part d'infini en lui ? Non, selon les théories analytiques : Wittgenstein : "ce dont on ne peut parler, il faut le taire."
Dans l’art, le sublime est toujours lié au beau. L’art n’est jamais purement sublime. Dans une remarque, Kant commente l’interdit de représenter Dieu dans la loi mosaïque :
Peut-être n’y a-t-il aucun passage plus sublime dans l’ancien testament que le commandement : Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre et qui sont dans les eaux, plus bas que la terre. L’art ne peut représenter le supra-sensible.

Le sublime ( Jean Lacoste " L'idée de beau ")
Dans le Sublime selon Kant, le vide immense, la grandeur de la nature, les ténèbres, la solitude, le silence... soumettent l'attention à une tension extrême, près de sa limite devant ces éléments sublimes. Kant " Le sublime exprime un plaisir paradoxal, indirect. Le sublime permet à l'esprit de se détacher de la sensibilité et de découvrir en lui une autre vocation que la puissance de la satisfaction des besoins, une vocation liée à la présence de la raison . Le sublime pourrait passer pour la forme extrême de l'attention puisque l'esprit fait taire les peurs et les émotions de l'homme sensible pour contempler le spectacle d'une nature immense absolument ( le sublime mathématique ) et infiniment puissante ( le sublime dynamique ) .

Mais le sublime notamment celui que fait naître le spectacle de la nature qui malgré sa force n'a pas la puissance pour triompher de notre résistance, le sublime a la valeur d'une révélation pour l'homme lui même . Dans le rapport au beau l'attention à l'objet conduit Kant à la notion de finalité sans fin et cela disparaît dans dans l'expérience du sublime qui montre à l'homme sa vraie nature suprasensible.
" Le vrai sublime doit toujours avoir un rapport à la manière de penser, c'est à dire à des maximes qui visent à procurer à ce qui est intellectuel et aux idées de la raison la domination sur la sensibilité " Kant
Pour Kant, les montagnes, l'océan, nous font découvrir en nous une faculté de résistance qui nous donne le courage d'affronter la toute puissance de la nature . L'attitude esthétique fondée sur l'attention liée au beau est ici écartée au profit d'une expérience qui pour Kant est plus précieuse, celle d'une loi morale rationnelle intérieure. Le sublime chez Kant est une synthèse équilibrée entre la découverte de l’irrationalité de la nature , de sa force destructrice et la confiance en la valeur supra sensible, en la dignité rationnelle de l'homme, entre la conscience de la nécessité et l'orgueil de la liberté . 
Mais Kant n'imaginait de sublime que devant la puissance de la nature, mais les horreurs de la guerre et les formes actuelles de violence et de terreur historique et de vie sociale rendent moins terrible la puissance des glaciers, des tempêtes et des volcans.
Devant la folie meurtrière des hommes en effet il n'est plus possible de se consoler avec le sentiment d'une loi morale rationnelle, d'une vocation suprasensible. L’absurdité d'une histoire humaine vouée à la violence, l'horreur répétée des massacres au nom d'une conviction politique ou religieuse rendent impossible semble t il toute attention esthétique . L'idée du beau trouve ici sa limite . Pourtant l'art ne cesse de revenir sur cette horreur de l'histoire comme s'il voulait dresser entre l'homme et l'horreur un écran, une médiation qui rende cette horreur non pas belle mais susceptible d'attention, digne d'attention .

La beauté Convulsive
L'idée de beau à cause des expériences du choc, ne peut plus que résider dans une attention ( une contemplation) inattentive involontaire, désintéressée comme en particulier dans l'aventure surréaliste . Breton n'a pas voulu reformuler de nouveau l'idée de beau mais en montrer la criminelle vanité , " La Beauté convulsive " a laquelle Breton se propose de parvenir par le miracle des coïncidences et des rencontres n'est pas d'ordre esthétique ou artistique . L'ambition est plus haute, elle intéresse l'existence entière et cette beauté là ne peut plus faire l'objet d'une simple satisfaction désintéressée . L'ambition du surréalisme est philosophique, elle voit des transformations possible de l'existence par la réappropriation par l'esprit de toutes ses facultés dans la recherches de la vérité. .
La modernité radicale du mouvement surréaliste parait fondée sur l'expérience  du choc, elle suppose un homme libéré des contraintes logiques, morales et sociales qui cherche à retrouver, à réanimer les pouvoirs originels de l'esprit.
L'exploration des ressources de l'automatisme suppose la mise entre parenthèse de l'attention consciente , l'expérience moderne du choc et la tentative pour définir une autre forme d'attention peut être mise en lien avec le fait que que Breton ait découvert Rimbaud pendant la guerre de 14/18, peu de temps avant de servir au centre psychiatrique de la 2eme armée à Saint Didier où étaient dirigés les évacués du front pour troubles mentaux et aussi l'étude des traumatismes psychiques dus à la guerre conduit Freud dans Les Essais de psychanalyse à une révision radicale de sa théorie des pulsions.
Dans les deux cas, l'expérience du choc non seulement frappe de nullité les illusions rationalistes relatives à la conscience dans l'idée du progrès des Lumières et l'idée du beau comme objet d'une attention consciente .
Breton cherche un remède qui puisse sauver l'homme de sa vie " à contre cœur " qu'il est obligé de mener . Ce remède est dans une méthode non raisonnable qui ne se fie à aucun plan et qui tend à l'inattention " cet état complet de distraction auquel nous espérons bien parvenir ici bas " ( Manifeste du surréalisme )
La démarche de Breton est l'abandon méthodique " raisonné " de la pensée à l'automatisme, transformation de l'attention " en distraction " créatrice, métamorphose de l'idée de beau en merveilleux du quotidien, l'art poétique surréaliste remet en question la doctrine classique du beau dans l'espoir de parvenir à une beauté originale " convulsive " involontaire

SYNTHÈSE 
La perception d'un objet que nous trouvons beau fait que sa finalité est dissociée de sa fin . On ne sait pas pourquoi ce que l'on trouve beau est beau et cette limite est irréductible : ce non-savoir, c'est précisément la perception de l'objet et c'est ce qu'on appelle le beau.
Ce non-savoir coexiste avec un investissement de l'espace qui est celui de la limite impalpable et en même temps inévitable créée par le fait que trouver un objet beau soustrait celui ci à toute fin utile, utilitaire 
Ce non-savoir organise, pour nous, le champ de la beauté. Pour qu'il y ait sentiment de beauté, il faut que l'objet beau soit coupé de son but; devant cet abîme, nous restons bouche bée 
"la beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans la représentation d'un fin" Devant lui, nous sommes bouche bée : incapables d'articuler un discours, bouche ouverte, souffle coupé, parole soufflée. C'est ce que Derrida appelle le "sans de la coupure pure" . La pureté de cette coupure tient au fait que nous ignorons ce dont elle nous prive. Nous restons coupés, sans ... 
Jacques Derrida reprend à son compte la problématique kantienne en y ajoutant d'autres dimensions : l'abîme, la trace, la mort, le deuil. On trouve dans la beauté une dialectique analogue : si nous sommes bouche bée, si tout s'arrête, c'est à cause de cette coupure pure (le sans-fin de Kant) qui laisse courir le mouvement sans lui donner aucun contenu. Il n'en reste qu'une trace absolument indéterminée, et voilà : c'est beau. Et cela pose l'objet beau à la limite d'un vide, au bord de l'absence, de sa propre absence . Et c'est dans cette espace là que le beau se développe .
Mais le beau n'est ni une idée (au sens de Descartes), ni une sensation (au sens de l'empirisme), il ouvre la voie vers le dépassement de ce conflit schématique. Il exprime l'esprit selon un mode spécifique. il introduit une perspective dynamique. On ne peut pas le réduire à un raisonnement ni à des règles précises
En effet, la création au centre du processus artistique, révèle le mode d'être du beau, ses règles et son rythme propre. La création s'appuie sur une intuition esthétique pure. Il en résulte une ouverture au monde de la forme (
En philosophie, la forme désigne le principe en vertu duquel une chose est ce qu'elle est et rien d'autre. Platon considère les formes comme les seules réalités, immuables et inaltérables. Les objets sensibles en sont les images ou les copies. Ces formes existeraient dans un lieu distinct, intelligible. Principe de saisie réel d'intelligibilité et de connaissance la forme est antérieure à la matière et cause productrice et finale de l'être naturel ), un plaisir désintéressé, une pure contemplation qui n'est pas une passion de l'âme mais son activité propre . Le jugement esthétique n’est pas une espèce de connaissance, il n'est pas lié à la connaissance de l’objet sur lequel il porte mais une idée esthétique est une représentation de la perception qui donne à penser, sans qu'aucun concept ni aucun langage ne la rende intelligible ni ne l'exprime complètement, le jugement esthétique est la dynamique qui met en oeuvre le processus de penser créateur .
Les perceptions du beau sont esthétiques, dans les jugements esthétiques, la représentation de l'objet est rapportée au sujet, et non à l'objet. elle est rapportée aux perceptions et ressentis du sujet. Ainsi le ressenti et l'imagination élargissent sans limite le concept lui-même et mettent en mouvement la raison, afin de penser plus que ce qui peut être exprimé dans le concept, grâce à des représentations apparentées (peinture, sculpture) ou des attributs (poésie, éloquence) Cette mise en mouvement de la raison peut se faire car les jugements esthétiques sont désintéressés c'est la représentation de l'objet, et non l'objet, qui est rapportée au sujet. Lorsqu'une perception du beau requiert l'existence de l'objet, c'est un intérêt. 
Kant dit aussi que les jugements de goût sont contemplatifs, p.187.
«ce qui importe pour dire que l'objet est beau... c'est ce que je fais de cette représentation en moi même, et non ce par quoi je dépends de l'existence de cet objet.» p.183
Les jugements esthétiques représentent une finalité subjective sans fin
Ce que Kant appelle l
a forme de la finalité d'un objet, ou la finalité formelle de cet objet, c'est le fait qu'elle soit le produit d'une volonté. 
"la beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans la représentation d'un fin"
Si dans le rapport au beau l'attention à l'objet conduit Kant à la notion de finalité sans fin, cela disparaît dans l'expérience du sublime qui montre à l'homme face à la puissance de la nature sa vraie nature suprasensible.
" Le vrai sublime doit toujours avoir un rapport à la manière de penser, c'est à dire à des maximes qui visent à procurer à ce qui est intellectuel et aux idées de la raison la domination sur la sensibilité " Kant 
Mais cela s'effrite quand on considère que la découverte de l’irrationalité de la nature, de sa force destructrice enclenche la confiance en la valeur supra sensible, en la dignité rationnelle de l'homme, cela s'effrite devant la folie meurtrière des hommes où en effet il n'est plus possible de se consoler avec le sentiment d'une loi morale rationnelle. 
Mais dans le rapport au beau il y a ce que Derrida appelle le "sans de la coupure pure" . La pureté de cette coupure tient au fait que nous ignorons ce dont elle nous prive et cela ouvre le champ aux dimensions comme l'abîme, la trace, la mort, le deuil, le vide et l'absence 
La finalité sans fin du beau et sa mise en mouvement de la raison peut se faire car les jugements esthétiques sont désintéressés c'est la perception de l'objet, et non l'objet, qui est rapportée au sujet, il y a dans le processus une forme d'abandon de soi et cela trouve son écho dans l'exploration des ressources de l'automatisme du surréalisme qui suppose la mise entre parenthèse de l'attention consciente .  " La Beauté convulsive " a laquelle Breton se propose de parvenir par le miracle des coïncidences et des rencontres n'est pas d'ordre esthétique ou artistique, elle est dans ce lâcher prise, cet abandon qui en principe suit le fait de trouver un objet beau . Dans la démarche de Breton, l'abandon méthodique " raisonné " de la pensée à l'automatisme, transforme l'attention " en distraction " créatrice, métamorphose l'idée de beau en l'espoir de parvenir à une beauté originale " convulsive " involontaire au quotidien . Et cela par le fait de créer le vide et l'absence avant même de percevoir quoique ce soit comme étant beau . Cela donne en permanence un état d'abandon d'où le beau découle, sans contrôle de soi ni du beau mais en provocant l'espace vide et le parti d'être désintéressé comme état premier. Cet état permanent de vide ou non-savoir crée la mise en mouvement de la raison qui provoque un regard désintéressé et est ainsi créateur du beau et non pas le subissant .
Cet état d'abandon peut être associé à la notion de Sacrifice chez Georges Bataille :

Le sacrifice explicité , François Gauthier docteur en sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal, dit
" Pour un sociologue comme Georges Bataille, peu connu des
indianistes, le sacrifice est un mécanisme que la religion met en
oeuvre afin de transgresser les interdits qui cernent l’ordre social
profane en vue d’accéder à l’excès, soit au chaos et à la démesure
qui caractérisent chez lui la catégorie du sacré. Cet excès est à la
fois source de vie et de périls. La religion, elle, a pour fonction de
mettre en oeuvre des formes rituelles qui permettent d’accéder au
sacré et d’en refermer ensuite la brèche. Dans cette optique, les
formes les plus violentes du sacrifice sont celles qui donnent avec
le plus d’éclat sur cette ouverture, permettant de « générer » ainsi
une énergie religieuse plus intense. Les sacrifices où il y a mise à
mort doivent incidemment être les plus solennels, les plus régis,
puisque le danger de contamination y est proportionnellement plus
grand. En revanche, plus le rite sera excessif, plus le passage à la
marge du sacré sera hasardeux, et plus les bienfaits du sacrifice
seront importants.
C’est en ce sens que le sacrifice sanglant, ou encore, de façon
plus générale, tout sacrifice tenu pour receler un potentiel
particulièrement grand dans une culture donnée, a le potentiel de
révéler un ensemble de données méritant d’être considérées en
première analyse. Vraisemblablement, ces rites ont le pouvoir de
nous démontrer explicitement ce qui se cache dans l’efficacité
symbolique de tout sacrifice. La perspective adoptée est donc
contraire à une analyse évolutionniste en quête d’une « origine » au
sacrifice : c’est par le complexe et l’explicite que l’on expliquera
le simple et le symbolique.
Or, selon Georges Bataille, « la destruction est le meilleur
moyen de nier un rapport utilitaire entre l’homme et l’animal ou la plante » (1949, p. 94), tandis que la religion, pour sa part, se revendique comme lieu privilégié de l’inutilité (compris d’une manière non péjorative) et de la « dépense » (Bataille, 1949). Ainsi compris, le recours au sacré qu’opère le sacrifice est une mise en scène luxueuse de gestes et de substances vouées à un usage consumatoire. C’est dans cette perspective, peut-on renchérir, que la destruction de l’offrande prend tout son sens. Pourquoi ? Parce que la destruction est le plus grand luxe qui soit, à l’image de cette nature qui, en ses cycles, engendre pour détruire. En d’autres termes, la violence est essentiellement constitutive du sacrifice, et c’est ce qui différencie ce dernier des autres rites comprenant un don. Le sacrifice a recours à la violence parce que la mort et la destruction seules ont le pouvoir de montrer le caractère définitif de l’abandon : on ne retrouvera jamais la chose détruite. Celle-ci échappe à jamais à l’emprise de notre désir et de la productivité. "

CONCLUSION
Ainsi il y a une expérience plus radicale dans le processus 
de la finalité sans fin du beau, de l'abandon et du désintérêt  de la personne qui par la perception de la beauté rend l'objet inutile ;  cette expérience du beau qui arrache complètement les objets à l’ordre de la consommation productive et les remet totalement à une autre sphère du non -savoir, qui transcende la pensée rationnelle c'est le sacrifice. Il dé-crée la chose, en fondant un nouveau rapport entre le sujet et l’objet : la victime du sacrifice rend la chose au monde sacré. Ainsi va dans le rapport au beau cette perception désintéressée qui rend l'objet à son statut primordial et inutile , sacré : 
« Le sacrifice restitue au monde sacré ce que l’usage servile a dégradé, rendu profane. L’usage servile a fait une chose (un objet) de ce qui, profondément, est de même nature que le sujet, qui se trouve avec le sujet dans un rapport de participation intime. Il n’est pas nécessaire que le sacrifice détruise à proprement parler l’animal ou la plante dont l’homme dût faire une chose à son usage. Il les faut du moins détruire en tant que choses, en tant qu’ils sont devenus des choses. La destruction est le meilleur moyen de nier un rapport utilitaire entre l’homme et l’animal ou la plante » dit Georges Bataille

Le sacrifice et le beau accède à l’intimité de la chose, à son être le plus caché par l'intuition et la perception . En même temps, il la rend à sa propre dimension, au sacré, en la soustrayant de l’état d’utilitaire auquel la logique du profit l’a réduite. Le sacrifice est la destruction de la chose en tant qu’objet de consommation utile et productive. Mais, pour que ceci arrive, pour que soit détruit notre rapport avec les choses en tant qu’objets, le sacrifice doit être premièrement sacrifice d’un savoir : il n’est pas possible, selon Bataille, de se joindre à l’objet dernier de la connaissance sans que la connaissance même ne soit dissoute. Au niveau du non-savoir, seul le néant de la chose réduite au pur objet est enlevé dans l’expérience du ressenti intime qui « habite » les choses à travers la notion de beau, et qui en fait l'espace où le rapport au beau dans le jugement esthétique est la dynamique qui met en oeuvre le processus de penser créateur .