202-RODIN-BEUYS, DESSINS

" Je parlais de cette chaleur dégagée tout au long du processus ; je n’entends pas par là la chaleur physique mais ce que vous appelez Éros. Par thermoplastique, je ne veux pas décrire comment on chauffe un four ; je pars plutôt d’une notion métaphorique de chaleur, qui, comme je le disais pourrait rejoindre celle d’Eros .
Joseph Beuys, Par la présente je n'appartiens plus à l'art p 71



Installation view of Rodin, Rilke, Beuys at Side by Side Gallery Akim Monet

Nous allons regarder l'oeuvre graphique de Rodin et de Beuys à travers le regard d'Eros chez les deux créateurs. 
Nous pouvons voir dans les travaux de Rodin et Beuys les matériaux mous, liquides et souples comme les flaques d'eau de l'aquarelle et l'utilisation de la graisse par Beuys , celle ci ayant une portée qui dépasse largement son premier état de matériaux. Il s'explique lui-même : 
Mon intention, en utilisant de la graisse, était de stimuler la discussion . La souplesse du matériau m'a surtout attiré pour ses réactions aux changements de température . Cette souplesse est psychologiquement efficace : instinctivement, les gens l'associent aux processus internes, aux sentiments. La graisse a un rapport direct avec le corps. Elle se transforme au contact de la chaleur humaine sans même qu'il ne la touche. "
Nous évoquerons alors le mythe de Poros et Penia.
EROS est le fils de PENIA et de POROS, selon la filiation suivante :


« Fils de Penia et de Poros, Eros tient de son père un esprit alerte, toujours en éveil, jamais en peine d'expédients (pόroi) pour se procurer, dans l'univers de dénuement (Pénia) où il est plongé, toutes les richesses vers lesquelles il est attiré, c'est-à-dire : les Formes, le Savoir, la Beauté (Vernant, 1974).
Eros, le désir est le Fils de Poros : Poros désigne le passage, la route, le gué, la voie, dont la racine est aussi dans Pontos, le fond de la mer, le gouffre, lorsque les vents désordonnés brouillent les Poroi, l'étendue marine faisant retour à son état original de Chaos, c’est-à-dire d'a-poron. La racine indo-européenne Per a deux sens 
« avancer, entrer dans et délimiter, associé à une idée d’épreuve ».
Le terme Aporie est emprunté au latin ecclésiastique “ aporia ”, de "privatif "et de poros “chemin” (pore). Il a été précédé par la variante “apore”. Ce terme désigne une difficulté rationnelle insurmontable, souvent une contradiction sans issue. Comment dépasser les contraires, sortir de l'aporie ?
Eros , le désir est le fils de Penia, la pauvreté, le manque, le vide, la vacuité... Sur le plan métaphysique, Penia signifie la privation de forme, l'absence de détermination. la matière brute . Selon certains poèmes mythologiques, l'état de la matière se définit comme “aporon” et, en ce sens, “ pénia.”
Chez les Grecs le désir est abordé par le biais du mythe d'Eros puis conceptualisé par le discours philosophique de Diotima dans le Banquet de Platon : le manque suscite le désir qui engendre l’action, en une dynamique qui mène du ressentir à l’intelligible pour se donner une direction, puis projeter une forme idéale sur le monde, et intervenir sur celui-ci.
Pour l'anthropologue C. Lévi-Strauss, (1958) dans la mythologie amérindienne le mythe d'Eros désigne une sorte d'outil logique destiné à opérer une médiation entre deux termes opposés, comme la vie et la mort, le passage de la chasse à l'agriculture dans son aspect périodique (cycle du tabac et du maïs par exemple) : apparaît le personnage appelé le “trickster” le rusé, celui qui fait des tours, des trucs, en l'occurrence le coyote ou le corbeau qui va permettre la prise de conscience de certaines oppositions, et opérer leur médiation progressive. Cela dans un entraînement graduel et continu au détachement dans lequel il y a donc renoncement à l’objet, attitude séparatrice par rapport au réel de la possession que la matière brute sous la pression du manque prend une direction une mise en forme, qui va et se répand sur le monde, interagit dans et avec celui ci, à nouveau recréant le cycle du désir de savoir engendré par Poros et Pénia :

Joseph Beuys (German, 1921–1986) Title: Suite Zirkulationszeit – Meerengel Zwei Robben, 1982 Medium:Prints and multiples, Etching and aquatint on gray handmade paperEdition:Edition of 75 + XXV + 17 HC + a few APsSize:38 x 28.5 cm. (15 x 11.2 in.)


Auguste Rodin (1840/1917), Jardin Des Supplices, ca. 1900. Gaphite, souche et aquarelle sur papier à la crème. 32,5 x 25,2 cm. Paris, Musée Rodin. Photo: Jean de Calan.

RODIN BEUYS
exposés au SCHIRN KUNSTHALLE FRANKFURT  




Extraits du dossier de presse :
Avec leurs conceptions respectives de la sculpture et du dessin, Auguste Rodin (1840-1917) et Joseph Beuys (1921-86) ont grandement influencé l'évolution de l'art au vingtième siècle et les tendances établies qui restent pertinentes aujourd'hui. Entre 1947 et 1964, Beuys a produit des centaines d'œuvres sur papier dans un style qui fait écho à la technique et à la langue formelle des dessins et aquarelles de Rodin de 1895 à 1910. 


ANGE OU ARIEL
Auguste Rodin (1840 -1917)
Crayon au graphite, aquarelle
H. 32,70 cm ; L. 25,00 cm
D.4979


Joseph Beuys (1921-86)" Indian shot with arrows "  Estampes et multiples, Lithographie auf Bütten, 52 x 72 cm bzw. 72 x 52 cm, 1974

Dans les œuvres graphiques des deux artistes, le corps féminin symbolise les forces naturelles élémentaires et transformatrices . Bien que plusieurs auteurs aient remarqué des similitudes entre les aquarelles des deux artistes, des parallèles dans leur processus en lien avec Poros et Penia sont la mise en présence de cette pauvreté ontologique résidant dans les matériaux premiers, ceux du chaos originel comme la graisse et les flaques d'eau,  et le chemin de l'action qui ouvre la voie à " La sculpture sociale" 

ASTARTÉ, D'APRÈS LA DANSEUSE ALDA MORENO
Auguste Rodin (1840 -1917)
Vers 1912
Crayon et estompe
H. 20 cm ; L. 31 cm
D.2830
Il est rare de pouvoir identifier les modèles de Rodin. Vers 1910, il fait la connaissance d’une danseuse et acrobate de l’Opéra Comique, d’origine espagnole, Alda Moreno, dont on retrouve le corps aux formes athlétiques dans une cinquantaine de dessins. Ces superbes dessins au trait, sur des feuilles de dimensions plus grandes qu’à l’ordinaire, sont exécutés au crayon et à l 'estompe qui permet de modeler précisément les volumes du corps. L’inscription portée par Rodin à droite de l’acrobate,« Astarté », identifie le corps de la femme à un astre. Astarté ou Ishtar, fille du dieu-lune et sœur jumelle du soleil, est honorée comme une déesse de l’Amour et du Désir dans la mythologie mésopotamienne et assimilée à Aphrodite par les Grecs.


Dans ce dessin, telle une soucoupe volante, la danseuse, dont la pose acrobatique évoque une posture de yoga, semble en lévitation. La souplesse du corps est accentuée par l’étirement excessif du bras ondulant. L’allongement et la reprise des doigts qui touchent l’extrémité de la feuille, comme le mot « bas », inscrit à droite par l’artiste, illustrent cette pratique qu’a Rodin de tourner et retourner ses dessins dans l’espace pour leur trouver une nouvelle orientation, un nouveau sens.( Musée Rodin)

Joseph Beuys (1921-86) Roter Hirsch (Cerf rouge)
color lithograph, 53,5 x 74,5 cm. (21.1 x 29.3 in.) 1972

Dans l'affirmative, Beuys a profondément admiré la qualité de surface dynamique du travail de Rodin. Il a également apprécié l'élévation de l'artistes français du torse à une forme d'art autonome. Plus de 130 œuvres sur papier et 35 chefs-d'œuvre de sculpture illuminent l'importance de Rodin pour le travail de Beuys. 


AVANT LA CRÉATION, Auguste Rodin (1840 -1917), Vers 1900, Crayon noir, estompe, aquarelle et gouache sur papier H. 25 cm ; L. 32,5 cm, D.6193

Les dessins érotiques forment ,dans l’œuvre de Rodin postérieure à 1900, un corpus de plusieurs centaines de pièces.
Dans ses dessins érotiques, Rodin se concentre encore et toujours sur un ou deux modèles nus, dont il scrute avec émotion les régions mystérieuses du sexe. Les femmes nues qu’il dessine acceptent de dévoiler, d'exhiber leur sexe à son regard, souvent se caressent, parfois s'abandonnent…, permettant ainsi à l’artiste de saisir les mouvements les plus secrets et les plus expressifs de leurs corps.



Joseph Beuys (1921-86) Toter Mann und Hirschskelett (Homme mort et squelette de cerf) pencil on linen-finished paper,8.25 x 11.5 in. (21 x 29,2 cm.)1955-56

Par leur approche entièrement nouvelle de la sculpture et du dessin, Auguste Rodin (1840 – 1917) et Joseph Beuys (1921 – 1986) ont joué un rôle décisif dans le développement de l’art au XXe siècle. À travers 130 œuvres sur papier (80 de Beuys et 50 de Rodin), et 35 sculptures (dont 20 de Rodin et 15 de Beuys), montrel’impact de Rodin sur la pratique artistique de Beuys. 

Joseph Beuys (1921-86)Frau (Femme) (vers 1948)

COUPLE ENLACÉ DEBOUT, DE PROFIL
Auguste Rodin (1840 -1917)
Vers 1900
Crayon et aquarelle sur papier
H. 49,8 cm ; L. 33 cm
D.6203


BRUME DU SOIR
Auguste Rodin (1840 -1917)
Crayon au graphite, estompe et aquarelle
H. 49,30 cm ; L. 31,00 cm

D.4981


La "Sculpture sociale"
Le travail de Beuys se définit à partir de sa théorie de la "Sculpture sociale", qui remet en cause les concepts traditionnels de l’art, et renonce aux principes esthétiques formels pour déboucher sur un processus de perception et de cognition, auquel chacun doit participer, de façon à aboutir à un changement de la Société. Dans le même temps, ce travail révèle une profonde affinité pour le médium traditionnel du dessin : "Le dessin a pour moi une importance capitale car, en définitive, tout est déjà là dans les plus vieux dessins, aussi loin qu’en 1947", dira-t-il. 
COUPLE FÉMININ
Auguste Rodin (1840 -1917)
Crayon au graphite, aquarelle
H. 33,50 cm ; L. 27,70 cm
D.5188

  
Joseph Beuys, Zwei Frauen, 1955. Pencil, watercolour, gouache and iron chloride on paper, 21 x 29,5 cm. © Joseph Beuys Estate/DACS, London 2017. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac London · Paris · Salzburg (Photo: Ulrich Ghezzi)

Entre 1947 et 1964, alors qu’il se consacre de plus en plus à ses performances et à sa théorie de la "Sculpture sociale" il crée plusieurs milliers d’œuvres sur papier. À partir de ces dessins et de sculptures clés, l’exposition démontre la relation particulièrement significative de Beuys avec Rodin, et rapproche pour la première fois ses premiers dessins et ses œuvres ultérieures en trois dimensions.

DEUX FEMMES ENLACÉES
Auguste Rodin (1840 -1917)
1908
Crayon et aquarelle sur papier
H. 32 cm ; L. 24 cm
D.7195
Le sujet des amours saphiques est très fréquent dans les dessins de Rodin qui souvent fait appel à plusieurs modèles simultanément.
 L’impétuosité et la justesse du mouvement ont dû être saisies de façon instantanée puis reportées sur une nouvelle feuille, l’artiste ayant l’habitude de décalquer son dessin de premier jet afin d'aboutir à un nouveau dessin, épuré. C’est le cas ici, où le contour ne présente ni déformation ni reprise. La ligne magnifiquement maîtrisée et continue sert à déterminer et modeler les formes, devenues intemporelles, qui ne sont même pas couvertes de l’habituel jus léger de lavis ocre. Les seules couleurs sont la coulée d’aquarelle bleue sur les plis du drapé de la femme de gauche et les touches ocre jaune rehaussant les chevelures.
 Cette pièce est un parfait exemple de la dualité, dans les dessins de Rodin, entre les données immédiates de la vie et la recherche de style. Elle est aussi exceptionnelle par sa dédicace :
« Hommage
à ma grande amie
Judith Cladel
Auguste Rodin
1908 ».
 Judith Cladel, soutien indéfectible de l'artiste, fut la première à classer, après sa mort, le considérable fonds de dessins du musée Rodin. (Musée Rodin)


Joseph Beuys (1921-86) Spur I (Schwimmer unter Wasser), 1974 Estampes et multiples, Lithographie auf Bütten, 52 x 72 cm bzw. 72 x 52 cm

Le corps fragmenté
L’une des innovations les plus importantes de Rodin, à la fin du XIXe siècle, est la fragmentation du corps et le traitement du torse comme une forme indépendante. Beuys donne lui aussi une place majeure au torse, qui joue un rôle essentiel dans ses dessins comme dans ses sculptures, particulièrement après 1953. Dans ses œuvres sur papier, son intérêt récurrent pour le travail de Rodin - qui tout comme lui en a produit des milliers - est immédiatement et intensément visible. 
EROS : BAS-RELIEF
Auguste Rodin (1840 -1917)
Crayon au graphite, aquarelle
H. 50,60 cm ; L. 32,50 cm

D.5719
Joseph Beuys (1921-86) "Hirsch und Sonne (Cerf et soleil) " Estampes et multiples, Lithographie auf Bütten, 52 x 72 cm bzw. 72 x 52 cm, 1974 

Les premières œuvres de Beuys sont l’écho des aquarelles et des dessins de Rodin des années 1895 à 1910. Le travail graphique des deux artistes est caractérisé par des lignes souples, des couleurs qui s’étalent, et une figure féminine centrale qui change continuellement. Tous deux ont expérimenté sans se lasser les techniques les plus originales. En dépit de leur présence physique, les dernières figures féminines des aquarelles de Rodin apparaissent comme des êtres évanescents saisis par l’artiste. Beuys, au contraire, les ramène à des silhouettes qui traduisent une intense vitalité, marquée par la deuxième guerre mondiale et en quête de renouveau.
ÈVE
Auguste Rodin (1840 -1917)
Vers 1884
Plume et encre noire, lavis d’encre brune sur papier
H. 25,4 cm ; L. 18,7 cm
D.7142
Legs Marcel Guérin, 1948.

La plupart des dessins de Rodin, en relation avec des sculptures, ne sont pas des projets mais des créations réalisées d'après les sculptures achevées, généralement pour illustrer un article de revue ou un livre. C’est le cas ici puisque ce dessin, reprenant l’attitude d'Eve, sculptée en 1881, était initialement destiné à illustrer Enguerrande d’Emile Bergerat. Il fut finalement utilisé en 1900 comme frontispice des Contes Surhumains de Victor Émile Michelet.

Quand il dessine d’après ses sculptures, Rodin se sert d’un réseau de hachures plus ou moins serrées qui façonnent l’ombre et la lumière, s’inspirant en cela de la technique de la gravure. Les taches et coulées d’encre, comme les hachures très appuyées autour de la figure et sur le bras et la tête de la femme, créent un effet de clair-obscur très rembranesque. Le visage d'Adèle Abruzzezi, modèle pour l'Eve, est mangé par l’ombre, tandis que sur son ventre arrondi de femme enceinte, se concentre toute la lumière. Ève, pécheresse sans visage, devient avant tout, dans ce dessin, la «porteuse» de toute l’humanité à venir. (musée Rodin)



Joseph Beuys (1921-86) , Elch mit Frau und Faunesse (Elan avec femme et faunesse) 1957


L’art et le mouvement

Les deux artistes partagent une autre conception nouvelle et essentielle, qui constitue un approfondissement révolutionnaire de la compréhension de la sculpture, l’introduction de la notion de mouvement et de temps dans l’art. Rodin résumait son approche par ces mots : "J’observe mon modèle longtemps. Je n’insiste pas sur une pose particulière. Je laisse le modèle marcher librement dans l’atelier, comme un cheval échappé de son écurie, et j’enregistre ce que je vois". 

Joseph Beuys (1921-86) Bienenkönigin (für Bronzeplastik) (Reine des abeilles (pour sculpture en bronze)) 1958
Torse de l'étude pour Saint Jean-Baptiste

Domaine : sculpture
Auteur(s) : Auguste RODIN
Titre : Torse de l'étude pour Saint Jean-Baptiste
Date de création : 1878 – 1887
Matériaux : Plâtre original
Dimensions : H. : 53 cm ; L. : 27 cm ; P. : 18,5 cm ; Pds. : 7,5 kg (Hors tout)
H. : 53 cm ; L. : 27 cm ; P. : 18,5 cm ; Pds. : 7,5 kg (Œuvre)

Le mouvement se manifeste dans le caractère flottant de ses dessins, comme dans sa décision de ne pas utiliser de socle pour ses statues et le traitement impressionniste de leur surface, qui font du matériau un élément vivant. De la même façon, Beuys considérait la sculpture comme un processus évolutif ouvert et adaptable, vivant et oscillant entre l’ordre et le chaos, l’organique et le minéral, le chaud et le froid. Pour Beuys la pensée est la sculpture, sa forme élémentaire, et Le Penseur de Rodin est son symbole...



Joseph Beuys, Torso [Torse], 1949/1951, plâtre, fer, gaze, bois, plomb, peinture. Collection de Céline et Heiner Bastian, Berlin. Photo de Jörg von Bruchhausen, Berlin. © Succession Joseph Beuys/ SODRAC (2015)  
TORSE MASCULIN ACCROUPI
Auguste Rodin (1840 -1917)
1890
Terre cuite
H. 15, 1 cm ; L. 11,7 cm ; P. 7,8 cm
S.3791
Figure partielle manifestant une étonnante impression de vitalité, ce petit Torse masculin accroupi fut modelé par Rodin vers 1890. Les traces du travail de la terre y sont apparentes et conservent l’empreinte du geste de l’artiste.
 L’importance des formes fragmentaires, notamment le motif du torse, se manifeste de manière précoce dans le travail de Rodin. Dès 1874, alors qu’il travaille pour Van Rasbourg, il utilise une retranscription du célèbre Torse du Belvédère pour représenter l’Allégorie des arts exécutée au Palais des académies de Bruxelles.
 Dans cette terre cuite, il tire les leçons du chef d’œuvre antique. Tout comme le Torse du Belvédère, celui de Rodin présente une courbure du corps et surprend par la coupe des bras au niveau des épaules et des jambes à mi-cuisse. Mais ici le non finito fait figure de parti pris, comme le souligne J.A. Schmoll :
« Avec Rodin le torse antique et le fragment sont appréhendés « désormais comme une forme totalement autonome, comme une figure artistique ». ( Musée Rodin)

CONCLUSION: 
Dans "Le Banquet de Platon ": 

" Diotime : C’est une assez longue histoire. Je vais pourtant te la raconter. Il faut savoir que le jour où naquit Aphrodite, les dieux festoyaient ; parmi eux se trouvait le fils de Métis, Poros. Or, quand le banquet fut terminé, arriva Pénia qui était venue mendier comme cela est naturel un jour de fête, et elle se tenait sur le pas de la porte. Or Poros, qui s’était enivré de nectar, car le vin n’existait pas encore à cette époque, se traîna dans le jardin de Zeus  et, appesanti par l’ivresse s’y endormit. Alors, Pénia, dans sa pénurie, eut le projet de se faire faire un enfant par Poros ; elle s’étendit près de lui et devint grosse d’Eros. Si Eros est devenu le suivant d’Aphrodite et son servant, c’est bien parce qu’il a été engendré lors des fêtes données en l’honneur de la naissance de la déesse ; et si en même temps il est par nature amoureux du beau, c’est parce que Aphrodite est belle. "
Ainsi il faut donc que Poros sorte de la fête des dieux, sorte du royaume enivrant du divin , aille dans le jardin de Zeus ( en ce sens rejoigne son fondement lié à la nature), pour que la prière de Pénia puisse se faire entendre, pour que s’exprime clairement dans l'âme la conscience de sa pauvreté. Alors le manque suscite le désir qui engendre l’action, en une dynamique qui mène du ressentir à l’intelligible pour se donner une direction, puis projeter une forme idéale sur le monde, et intervenir sur celui-ci. 
Ainsi dans le processus créatif l'aspect le plus conscient, le plus influent de l’esprit, c’est probablement Pénia plus que Poros. 
Cette intuition qui ensemence et féconde l’esprit, que Platon nomme l’opinion droite, sans laquelle il n’y aurait pas de connaissance, est une révélation qui appartient à Pénia, toujours à l’écoute de ce qu’un dieu peut lui donner, toujours demandant l’aumône qui saura apaiser sa misère et son dénuement, et non à Poros, satisfait de lui-même et se rendant ainsi sourd aux signes que le démon transmet, des Immortels aux mortels. ( Jacques Darriulat)