189-BERNARD PAGÈS ET " LA TRINITÉ " DE SANTA MARIA NOVELLA



Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence

Bernard Pagès est un sculpteur français contemporain né à Cahors dans le Lot en 1940. Il participa à l'aventure Supports/Surfaces. Il arrive en 1959 à Paris. C'est à l'Atelier d'Art Sacré qu'il prend conscience de l'accessibilité de la sculpture. En 1967, l'artiste abandonne la peinture et la sculpture traditionnelle après une exposition des Nouveaux Réalistes à Nice.

Bernard Pagès initie le mouvement Supports/Surfaces en 1967. Il utilise des matériaux abandonnés pour réaliser ses sculptures, puis il assemble briques, bois, carrelage, pierre, gravier, tuyaux... Il classe ses ensembles par Inventaires, Nomenclatures, Enumérations. Au fil du temps, son travail s'oriente vers des oeuvres de plus en plus colorées et baroques.

Nous allons évoquer une de ses oeuvres in-situ " Mur peint et tailladé ", réalisé en 2003, et commandé par le Musée de Vence.


 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence

 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail

 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail

Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail
 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail
 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail
 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail
 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail
 Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence, Détail

Nous allons analyser ce " Mur peint et entaillé " de Bernard Pagés en lien avec la fresque du Masaccio. (1401-1428 )" La Trinité " , Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. 

Masaccio. (1401-1428 ) La Trinité, Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. 
Tommaso di Ser Giovanni di Mone Cassai est né à Castel San Giovanni in Altura (aujourd'hui San Giovanni Valdarno, près de Florence (1401-1428 ). Il sera appelé Masaccio, terme dépréciatif signifiant idiot, du fait de son détachement du réel : il était ailleurs. Giorgio Vasari le précise dans Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1550) :
« Distrait, rêveur, comme un homme dont toutes les pensées et la volonté étaient tournées uniquement vers les choses de l'art, il s'occupait peu de lui-même et encore moins des autres. Comme il ne voulut jamais penser, en aucune manière, aux choses de ce monde, dont il ne se souciait pas plus que de son costume, il fallait qu'il fût réduit au plus extrême besoin pour réclamer quelque argent à ses débiteurs. Il se nommait Tommaso mais on le surnomma Masaccio, non pour sa méchanceté, car il était la bonté même, mais à cause de ses étrangetés ; d'ailleurs toujours prêt à rendre service à qui que ce fût. »

Masaccio meurt en 1428 au cours d'un voyage à Rome avec Masolino da Panicale, dont le but était de réaliser un polyptyque pour l'église Santa Maria Maggiore. On ignore la cause de sa mort. Citons à nouveau Vasari :
« On dit qu'en apprenant sa mort, Filippo Brunelleschi s'écria : « Nous avons fait une perte immense en Masaccio ! » et ressentit une profonde douleur, d'autant plus qu'il s'était appliqué longtemps à lui enseigner quantité de problèmes de perspective et d'architecture. Il fut enterré dans l'église del Carmine, l'an 1443, et comme pendant sa vie, ses concitoyens l'avaient peu apprécié, on ne prit pas soin de rappeler sa mémoire par quelque inscription sur son tombeau. »



Masaccio a peint (1401-1428 )" La Trinité " dans Eglise Santa Maria Novella (1425-28). (Fresque, 640 × 317 cm) à Florence. Dans cette fresque les personnages sont grandeur nature. L'effet de perspective est l'un des premier de l'histoire de la peinture, il a été commenté en ces termes par Giorgio Vasari dans ses "Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes ": « C'est une voûte en berceau, tracée en perspective, et divisée en caissons ornés de rosaces qui vont en diminuant, de sorte qu'on dirait que la voûte s'enfonce dans le mur. »
Mais, deux ans plus tard, la fresque disparaît aux regards, recouverte par une grande toile, "La Vierge au Rosaire", installée sur un nouvel autel en pierre, et peinte par... Vasari lui-même.
Elle n'est retrouvée qu'en 1861, lors de la suppression des autels du xvie siècle. Elle est alors détachée et fixée au mur intérieur de la façade. Son emplacement est blanchi, pour correspondre au style du temps. Enfin, en 1952, elle est replacée sur sa paroi d'origine, au-dessus de la représentation du sarcophage d'Adam, qui était resté sur le mur, caché par l'autel néo-gothique du XIXéme  siècle. (Cinéclub de Caen )



Masaccio. (1401-1428 ) La Trinité, Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. 

Le Christ est ici représenté sur la croix de sa Crucifixion, accompagné, comme traditionnellement dans l'iconographie chrétienne, par des personnages saints : Marie et saint Jean. Sont également représentés deux autres personnages, commanditaires ou donateurs. Les peintres figurent souvent le crâne d'Adam au pied de la croix. Masaccio, lui, a choisi de peindre le squelette d'Adam tout entier, couché sur son sarcophage, dans l'axe de la croix. Dans le bas du tableau, une crypte contient le sarcophage sur lequel un squelette figure donc Adam avec une inscription gravée :
IO. FV. GIATT. QUEL. CHE. VOI SETE : E QUEL CHI SON. VOI. ANCOR. SARETE. dont le sens est un memento mori : « J’étais ce que vous êtes ; vous serez ce que je suis ».
La peinture se rapporte à la chapelle médiévale double du Golgotha, avec le tombeau d'Adam dans la partie inférieure (le squelette) et la Crucifixion dans la partie supérieure.

Masaccio. (1401-1428 ) La Trinité, Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. Détail du tombeau

Le tombeau d'Adam soutient l’édifice, à l’aide de quatre colonnes, protégé par un autel, il soutient la représentation d’une trinité (le père, le fils, le saint esprit), dans un décors architecturé en une composition grandeur nature.



Masaccio. (1401-1428 ) La Trinité, Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. plan et coupe de la mise en espace du point de fuite de la perspective située au niveau de l'oeil du spectateur

Le point de vue du spectateur se situe au niveau du crâne d’Adam dans une architecture de type antique avec colonnes, pilastres, voûtes en plein cintre et plafond à caissons. Elle englobe toute la composition, et est tridimensionnelle, le tableau n’est pas une limite ou une fermeture, mais un seuil qui nous invite à participer à la scène. Le spectateur peut quasiment toucher le décors, et l’ouverture à l’arrière-plan du tableau fait qu’il peut visualiser l’espace dans sa globalité : il pourrait presque pénétrer l’œuvre et faire le tour de la scène préfigurant ainsi le trompe-l’œil.

Masaccio. (1401-1428 ) La Trinité, Eglise Santa Maria Novella (1425-28). Fresque, 640 × 317 cm, Florence. construction des lignes de perspectives

SYNTHÈSE :
Les lignes de fuites qui organisent l'espace scénique sont les deux obliques qui partent des extrémités du tableau, elles passent par les têtes des commanditaires et des saints, qui convergent au niveau du torse de jésus, et s’arrêtent aux chapiteaux des colonnes (bleues). Celles qui partent des deux chapiteaux des pilastres, qui passent par la tête de Marie et de Jésus, et qui convergent vers le crâne (jaunes). Et enfin, celles qui partent de la tête des commanditaires et qui convergent au niveau de la tête de Jésus (magenta) . Il y a trois points de fuite, la tête de Jésus, son torse, et le crâne d’Adam , le point de vue du spectateur se situe au niveau du crâne d’Adam, cette place là est donc par la construction perspective la place assignée au spectateur dans une allégorie de la mort de Jésus, qui suppose la mort de tous les êtres vivants car sans Jésus, réplique de Dieu sur terre, il ne peut plus rien avoir. 
Mais simultanément c'est le tombeau d'Adam qui soutient l’édifice impliquant que la mort des humains est la base du rapport au sacré, que cette base " notre humanité " unifie et met en perspective le croisement des couleurs : le rouge du manteau de l’homme priant sur le stylobate, au pied du domaine sacré, renvoie au rouge du manteau de Saint Jean. Le bleu du manteau de la femme priant sur le stylobate, renvoie au bleu de celui de la Vierge. Dieu quant à lui est recouvert d' un manteau bleu et porte dessous une tunique rouge. 
Le bleu est la synthèse enveloppant le tout, le bleu est aussi le féminin, ainsi le choix du bleu du " Mur peint et tailladé "de Bernard Pagès, au Musée de Vence est celui de la synthèse et de l'unité entaillées par le rouge de la " mise en perspective " de notre humanité. Dans les entailles des lignes perspectives du mur de l’alcôve de Bernard Pagés, s'inscrit le désir de mouvement du spectateur, libre de la position assignée par le point de fuite perspectif astreint aux textes religieux, spectateur qui expérimente l'oeuvre in-situ de Bernard Pagés en contre point de la scénographie perspective de "La Trinité"du Masacio .
Dans " Mur peint et tailladé "de Bernard Pagès, les deux bandes de tracés des entailles sont positionnées dans les angles de la pièce, se faisant elles écrasent la profondeur de l'espace et annulent la perspective. 
L'espace devient alors plat, en une seule dimension, un seul plan il n'y a plus de perspective, tout est là dans le présent. 
Les deux bandes en diagonal des entailles relient le blanc du plafond à la limite entre le sol et le mur signifiée par la ligne blanche de la plinthe. Cela en analogie avec le blanc du vêtement du Christ et ligne blanche de la plinthe en lieu du tombeau d'Adam.
Le lien entre le mouvement diagonal des entailles blanches, révèlant l'enduit qui est dessous et soutient le bleu peint, et la blancheur du plafond est l'unité du présent du spectateur qui est alors libre de tout point de vue .


Bernard Pagès, Né en 1940, à Cahors, France.Vit et travaille à Contes, France.  Mur peint et tailladé, 2003, 275x 211cm, Commande du Musée de Vence