181-APPROCHES PÉDAGOGIQUES POUR UNE SÉMIOLOGIE DE L'ESPACE




Plan de cité de Mari, Mésopotamie de l'âge du bronze (3000-1200 avant notre ère). Centre politique et militaire de tout premier plan, Mari était une ville nouvelle, fondée au début du IIIe millénaire pour contrôler la route commerciale qui reliait, par l'Euphrate, le domaine montagneux syro-anatolien, producteur de métaux et de bois, au riche foyer urbain de la Mésopotamie centrale et méridionale.

1 - Comprendre l’espace, par quels moyens, en vue de quoi ?
J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources:
mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serai né, l’arbre que j’aurais vu grandir
( que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts...De tels lieux n’existent pas et c’est parcequ’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute, il me faut sans cesse le marquer, le désigner; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête” Geoges Perec Espèces d’espaces

L’espace extérieur existe-il réellement en tant que cadre universel où se situe toute réalité, en particulier l’homme lui-même? ou bien selon Kant est-il une projection d’une structure interne à l’homme, construit à partir d’éléments non spaciaux, mais de vécus. C’est le point de vue de la phénoménologie où l’espace est une construction mentale à partir de l’espace physique, celui du corps, des sensations, des perceptions, où ll’individu a une représentation intérieure de l’espace qui l’environne et de la position de son corps dans cet espace.
L’espace est constitué de multiples espaces, espaces réel, suggéré, littéral, diégétique, symbolique, littéraire,. la conquète se méne sur tous les fronts à partir du corps et de la mémoire et donc du temps. L’espace et le temps semblent nécessaires à l’usager afin que celui-ci puisse appréhender l’espace environnant, à partir de la perception intérieure qu’il en a.
Deleuze Gilles parlant de Kant » L’espace et le temps, ce sont les formes de l’apparition, ou les formes de la présentation de ce qui apparaît. C’est ce que Kant appelle « formes de l’intuition » l’intuition c’est la présentation, c’est l’immédiat. L’espace et le temps sont des formes de l’immédiateté, en ce sens ils ne sont pas simplement une forme de présentation de ce qui apparait, ils sont une forme de représentation de ce qui apparait. L’espace est la forme de l’extériorité, cela veut dire que tout ce qui apparait dans l’espace apparait comme extérieur à celui qui le saisit, c’est la forme sous laquelle un quelque chose d’extérieur m’affecte. Le temps c’est la forme de l’intériorité, forme sous laquelle nous nous affectons nous même. L’espace est l’intuition extérieure, le temps l’intuition de nous-même et de notre état intérieur »

2- Montrer ce que est ressenti
“ Visuel.
Dans l'ensemble c'est vert avec un toit blanc, allongé, avec des vitres. C'est pas le premier venu qui pourrait faire ça, des vitres. La plate-forme c'est sans couleur, c'est moitié gris moitié marron si l'on veut. C'est surtout plein de courbes, des tas d'S pour ainsi dire. Mais à midi comme ça, heure
d'affluence, c'est un drôle d'enchevêtrement. Pour bien faire faudrait étirer hors du magma un rectangle d'ocre pâle, y planter au bout un ovale pâle ocre et là-dessus coller dans les ocres foncés un galurin que cernerait une tresse de terre de Sienne brûlée et entremêlée par-dessus le marché.
Puis on t'y foutrait une tache caca d'oie pour représenter la rage, un triangle rouge pour exprimer la colère et une pissée de vert pour rendre la bile rentrée et la trouille foireuse.
Après ça on te dessinerait un de ces jolis petits mignons de pardingues bleu marine avec, en haut, juste en dessous de l'échancrure, un joli mignon bouton dessiné au petit quart de poil. “
Raymond Queneau Exercices de style
Percevoir l’espace, interagir et établir une relation singulière avec lui, exploiter et exprimer sa perception en résonnance avec le milieu social, politique ou naturel, explorer les médiums et outils les plus adaptés aux intentions plastiques.
Ecrire, dessiner, lire, visualiser, comprendre et montrer.
Lʼ étymologie de graphisme vient de graphein qui veut dire écrire. Dans sa dimension prospective, projeter, esquisser, rechercher, le dessin est un outil de connaissance. Dans le sens ou il a une intention désignative, le dessin est aussi un outil de représentation.
Matisse dans son album “ Jazz “: “Dessiner avec des ciseaux, découper à vif dans la couleur, me rappelle la taille directe des sculpteurs”. En ce sens la couleur est à la fois le signe, et la matière et le dessin découpe l’espace et taille le volume.
Henry Michaux dit “ Je dessine la conscience dʼexister et lʼécoulement du temps, comme on se tâte le pouls. De lʼacte dʼécriture le dessin est lʼexpression dʼune contiguité, opérant sur un registre similaire à celui de la parole, une production égale de sens, qui lui confère le statut dʼun mode éminent de communication. Ainsi, la necessité du dessin procède-t-elle de ce qui nʼest pas seulement un moyen dʼexpression, mais bien davantage un mode d’écriture poétique”.
“ La révolution en photographie, c’est qu’un fait photographié agisse si fort par sa qualité, de façon si inattendue par sa spécificité photographique, qu’il montre à chacun une manière absolument nouvelle de découvrir le monde dans les sciences, les techniques et dans la vie quotidienne des hommes d’aujourd’hui” Alexendre Rodtchenko Avertissement 1928

3 - Ecrire l’espace environnant, dessiner la perception de l’espace intérieur et dire pour montrer
Jai eu un grand déchirement à me défaire de la maison de mon enfance. J’ai fait des croquis, aide-mémoire, dessins aux feutres de grandes dimensions qui décrivent la configuration de cette demeure originelle et se situent sur le plan souvenir-conceptuel, ses dessins se rapprochent de ceux des architectes, avec des plans, des schémas pour délimiter les espaces sur lesquels vit ma pensée.” Etienne Martin
Dans un acte radical, Etienne Martin fabrique en 1962 un manteau (Demeure 5) d’après les souvenirs de la maison de son enfance, chaque pièce y est découpée et cousue, les deux escaliers
s’enchevêtrent, les matières se cumulent et s’ajoutent les unes sur les autres.
Le manteau” est gigantesque (2,50m de haut x2,30m x0,75), monstrueux par ses protubérances de tissus et de fils, il est majestueux. La mémoire et l’espace vécu sont entrelacés et cartographiés. L’artiste porte son territoire sur lui: en souverain et en roi. Par cette armure, ce vêtement démesuré aux couches multiples, il affiche l’étendue de son pouvoir, la maîtrise de son environnement proche et de ses ressources. Michel Ragon Etienne Martin, le lieu et la mémoire
“Le manteau” est une carte vivante. Déplié, il retrace les lignes de vie de ce qui a disparu et lorsque Etienne Martin le porte, se glisse à intérieur telle une amande, il devient espace architectural engendré par les perceptions de mémoires renouvelées.
Dans sa dimension prospective, projeter, esquisser, rechercher, le dessin est un outil de connaissance. Dans le sens ou il a une intention désignative, le dessin est aussi un outil de représentation.
Matisse a également introduit son album “ Jazz “ par ces mots: “Dessiner avec des ciseaux, découper à vif dans la couleur, me rappelle la taille directe des sculpteurs”. En ce sens la couleur est à la fois signe, matière et le dessin découpe l’espace et taille le volume.
Henry Michaux “ Je dessine la conscience dʼexister et lʼécoulement du temps, comme on se tâte le pouls. De lʼacte dʼécriture le dessin est lʼexpression dʼune contiguité, opérant sur un registre similaire à celui de la parole, une production égale de sens, qui lui confère le statut dʼun mode éminent de communication. Ainsi, la necessité du dessin procède-t-elle de ce qui nʼest pas seulement un moyen dʼexpression, mais bien davantage un mode d’écriture poétique ”.
Ecrire, dessiner, lire, visualiser, comprendre, dire et montrer.
Beaucoup plus qu’un moyen, le langage est quelque chose comme un être, la parole est un geste et sa signification un monde. Il y a la parole parlée et la parole parlante, je ne suis jamais le premier à parler et dans l’ordre du sens, la parole en tant qu’expression est antérieure à la signification. Signifier veut donc désormais dire non pas faire sens, mais faire signe, signe à l’autre et découvrir que les mots sont des gestes et non des concepts” Merleau-Ponty le signe

4 - Qui pense : lʼoeil, la main, la parole ?
Nous oublions que le visible est le lieu des signes et non pas la surface de la réalité; nos yeux ne voient pas le monde, ils voient du sens, ils cherchent du sens et ils lʼarticulent de telle sorte que nous soyons toujours le sujet dʼune phrase claire “ Bernard Noel
L’espace environnant est un texte à déchiffrer.
Lire un objet, un volume, un lieu, un instant. Lire cʼest à dire prendre connaissance dʼune signification. Mais aussi, tracer, former, dessiner, rendre intelligible et construire lʼécriture dʼun projet. Ecrire cʼest à dire exprimer une information dans un système graphique, Ecrire cʼest à dire montrer la signification. Le regard, la lecture et lʼécriture du dessin.
Le scientifique Yarbus sʼest intéressé aux mouvements des yeux dans lʼacte de perception visuelle. Yarbus montre les traces linéaires dʼun oeil qui regarde le tableau de Répin ” Celui quʼon attendait pas ”. Suivant la question posée à propos de lʼoeuvre, lʼoeil circule, connecte, va dʼun point à un autre, crée un réseau de lignes, toujours différent suivant ce quʼil lui est demandé de comprendre. Lʼoeil pense, il cherche, il fait des liens et le parcours dessiné de sa quête est abstrait et propre à chacun, il nʼy a pas de vision standard. Lʼoeil a un regard sur le monde qui questionne, réfléchit, et ne se conforme pas à une idée préétablit de ce qui lʼentoure. ” Les contours si nécessaires pour permettre à lʼimage rétinienne de se former, sont parties négligeables pour lʼexploration ” Richard Gregory, physiologiste. Le parcours de lʼoeil qui cherche ne cerne pas, ne représente rien de figuratif, ne fige pas le réel à son apparence extérieure. Le regard est un processus vivant, arborescent, évolutif qui opère des transformations sur le monde.(croquis de Franck gehry)
Choisir et lire par le regard un espace urbain, et le questionner par le tracé de la perception visuelle, écrire les questions mots, phrases. Puis laisser lʼoeil chercher le sens et comprendre en balayant lʼespace dans des allers et retours qui tissent des informations sans représenter ni délimiter les contours et formes du lieu observé. Mais mobilisé par une dynamique à vouloir déméler et révéler le site de lʼintérieur même du chemin dessiné, regarder lʼoeil tracer sur le papier le parcours en réseau de sa quête de signification et non pas de représentation. Interroger ainsi les différents constituants dʼun espace urbain, ses matières, ses structures, volumes, son histoire, ses signes et regarder le regard sʼapproprier les choses par la compréhension graphique. Faire un tracé dessiné pour chacune des questions.(André Masson, Jean Degotex)
Puis ne dessiner le lieu quʼavec des mots, nous pensons en mots et ces mots sont nos premiers dessins ( Bruce Nauman, Joseph Kosuth, Lawrence Weiner, Jenny Holzer ), écrire ce que lʼon voit, puis ce que lʼon ne voit pas et que le lieu lui-même nous transmet, et écrire ce que lʼon ressent et perçoit. Utiliser des mots, intelligibles ou non ( Kurt Schwitters, John Cage ) Montrer, exprimer le sens du lieu par le langage, sa sonorité et le ressenti du corps et de la voix qui lit les textes/dessins.
Regarder un objet, puis les yeux fermés, le dessiner au crayon et à lʼencre sur des feuilles de papier à même le sol, et comme Henri Michaux, tâter le pouls de ce que lʼon perçoit de cet objet, de ses ombres et lumière, de lʼespace qui lʼentoure, de ses textures et matières, de ses fonctions, de son esprit, de ses composantes primordiales, lignes dominantes, rapports et proportions, subordination des détails à lʼensemble, répartition entre les volumes et les valeurs. Traduire cet objet coupé en 2,
verticalement, horizontalement, son empreinte au sol, à plat de dessus, de face. Garder les yeux clos jusquʼau bout, prendre connaissance de lʼobjet à lʼintérieur de soi, et dessiner, comme on parle à un ami.
Synthétiser ses perceptions questionnantes, celle de lʼœil qui cherche, de la voix qui montre, des mots qui évoquent, de lʼécoute intérieure qui pense, en une installation/performance

5 – Rapport entre perspective et volumes
“ Quand Picasso abandonna la perspective, il avait senti que cʼétait un système arbitrairement projeté sur la ” nature, les parallèles qui se recoupent à lʼhorizon sont une illusion déplorable, car derrière se déploie lʼinfini de lʼespace à jamais calculable. Renonçant à la profondeur il nʼa donc peint que des premiers plans et sʼest détourné de la morale dʼune vision plastique de la vie. Il a reconnu la relativité des lois optiques qui gouvernait ses yeux à tels moments, et à tels endroits et a cherché une réalité nouvelle et immédiate.” Richard Huelsenbeck, “Histoire du Dadaîsme “
Prendre un espace sans limite particulière, le fragmenter, le segmenter par un volume, retranscrire graphiquement ce que celui-ci partage et sépare et simultanement ce quʼil intègre et rassemble, dessus, dessous, devant, derrière, dedans. Fragmenter est-il rassembler ? Comment ? Le dire avec des mots et des schémas.
( Daniel Arasse, La perspective à la Renaissance, opposition entre la toile “ fenêtre” des Florentins et la toile “surface” des Hollandais, le rapport entre le temps et l’espace dans la notion de perspective, le rapport au présent et à celui de l’au-delà, Piero della Franscesca La flagellation du Christ et Vanitas de Philippe de Champaigne,les differents plans constituant l’espace Les Sainte Victoire de Cézanne et L’Aria de Georges Braques )
Ainsi appréhender lʼorganisation de lʼespace dans une synthèse où les volumes sont perçus comme un rapport entre le temps et l’espace, le présent et la mise en perspective.
objets architecturaux, les volumes sont transitions, passages, rassembleurs des différentes périodes du développement urbain et de ses implantations, rassembleurs des usages et pratiques sociales, des valeurs symboliques et poétiques, de lʼenvironnement naturel et artificiel, du privé et du collectif (Absalon, les cellules, Malevitch Architectones la métaphysique de l’architecture)
dans la relation entre l’espace bati par l’architecte et l’espace vécu par l’habitant, il y a la conformation première, rigide et statique, issue de la programmation à laquelle s’articule une configuration seconde, souple et dynamique, celle de l’engrammation de l’espace saisi par l’habitant dans son expérience temporelle. A la substance et forme matérielle de l’édifice répond celle des corps occupant l’espace, à la forme contenue de l’espace architectural conçu par l’architecte répond le sens de l’espace pour l’usager” Alin Rénier Espace et représentation
Explorer cette perméabilité spatiale par des agencements de volumes exprimant des mouvements: la fluidité, la flexibilité, la rigueur, la profusion, lʼaustérité, leur distribution, combinaison par la proximité, lʼéloignement, contiguïté. Rechercher divers types dʼinterpénétrations des pleins et des vides, des découpes de rythmes spatiaux, formels, lumineux, de données contribuant à la tension, dilatation ou compression des espaces. ( Grégoire et Petetin, La maison valise)
Analyser les différents phénomènes visuels créés par le croquis perspectif et frontal. A partir dʼun ensemble de volumes faire de multiples propositions spatiales où les volumes sont des réceptacles et des échangeurs sous formes de maquettes de recherche, analysées et restructurées par le dessin et par le commentaire écrit, dans un aller et retour entre les mises en forme et le regard critique des mots. Considérant que les volumes ne sont pas clos mais sont des liens, des espaces de transition,
traversés de toute part et par tout, mais sont aussi interruption, rupture, segmentation de lʼinfini et de lʼillimité. (Martin Luiz de Azua, Casa basica)
Dessiner nʼaffirme pas la légalité dʼun espace, mais au contraire, offre lʼétonnante possibilité de faire vivre, dans la page, toutes les représentations de cet espace possibles, espace physique, phénoménologique, sensoriel, lumineux, tactile, .... espace plan, espace de fond, espace coupe, section, élévation “ Zaha Hadid.

6 – Le corps, la matière, la perception pour analyser l'espace
Sur les hauts plateaux du Pérou les indiens Nazcas ont tracé des figures pouvant atteindre 5 km de long et visibles uniquement du ciel. Les Nazcas réalisèrent ces figures en dégageant les pierres dʼoxyde de fer gris là où ils voulaient obtenir une ligne, révélée alors par le sol clair de gypse.
Du corps comme outil à la trace dans lʼespace. Les premiers hommes sont des nomades, ils appartiennent à lʼinfini du paysage dans lequel ils se déplacent. Leur corps est ainsi partie intégrante de leur environnement. Symboliquement leur corps possède cette dimension. Ainsi les traces quʼils déposent sont peut-être plus une façon de faire partie du paysage plutôt que de le marquer.
Explorer, par le dessin de traces et matières, des impacts de volumes faisant partie dʼun paysage choisi, naturel ou urbain, et ne le marquant pas. Le corps en marche crée une trace; se déplacer dans une succession dʼespaces et noter par écrit courts et photographies la perception du corps des espaces parcourus, le corps et les murs, le corps et les portes, les seuils, les couloirs, les percements, les vues, la lumière.
Retranscrire les perceptions par des collages et montages de matières, papier de verre, dentelles, éponges, associer les matériaux; neufs et de récupération, manufacturés et naturels, cassants et souples, dangereux et sécurisants, absents froids durs neutres et doux accueillants mous reposants comestibles....
Mettre en relation lʼexpressivité plastique, formelle et spatiale des consistances matérielles avec les propriétés évocatrices symboliques des matièriaux et des textures, considérer leur capacité à provoquer des sensations, à suggérer des sentiments, des émotions, des pensées. Transfigurer, en prenant de la distance, que la matière induit, affirme, ou modifie la signification. Expérimenter avec maquettes differentes combinaisons, analyser, commenter puis faire sur site, une installation dʼaprés programme, synthétisant volumes dʼobjets existants ou construits; lignes, de métal, tige ou branchage et surfaces, de pétales dʼiris au mirroir et boites de clous, tas de cagettes et de vêtements ( Kawamata, Versailles, Boltanski Canada )
Richard Long “ La marche à pied est une sculpture, jʼaime la simplicité, la marche, les pierres, celles- ci sont pour moi lʼétoffe du monde ”. Il arpente le monde, et en déplaçant des pierres sur son trajet crée dans le paysage des oeuvres aux formes géométriques simples, que peu de gens peuvent voir et qu’il documente par la photographie. La photo, le temps immobile de la mémoire.
La notion de matière, indissociable du matériau est aussi porteuse de la texture du vide, de lʼespace jusquʼau volume. Pilote/ soldat de la seconde guerre mondiale, lʼavion de Joseph Beuys sʼécrase dans les Carpates, des montagnards le retrouve inanimé, des semaines plus tard il sort de son coma, recouvert de graisse, enroulé dans des couches de feutre dont ces montagnards lʼavaient enveloppé pour le ramener à la vie: la graisse, le feutre et le chamanisme seront les matières de lʼexpression des œuvres et performances de Beuys.
La matière est lʼanalogie avec le corps, la chair, le mouvement entre la vie et la mort. Ainsi Heidegger dit “ Nous, les humains sommes capables de la mort ”. Notre dynamique, de la condition éphémère au besoin dʼéternité, sʼempâte de toutes sortes de matières(Anselm Kiefer), recouvre le sol de pollen (Wolfgang Laib), se craque en éclairs dans le désert (Walter De Maria), crache du pop corn (Jason Rhoades). La présence du corps comme origine du processus créatif, les gestes créateurs de formes; Saburo Murakami, du mouvement Gutai, pose 16 écrans de papier kraft tendu sur chassis quʼil faut physiquement traverser pour entrer dans la galerie, 1956. Shimakoto conduisait le spectateur à marcher puis trébucher sur un obstacle, faisant ainsi une oeuvre à “ parcourir “ plûtôt
“ quʼà voir “
Le geste, le moment, le lieu de la création, lʼacte créateur sont-ils plus importants que lʼaspect de lʼoeuvre qui en résulte ? Prendre en compte tous ses gestes lors dʼ un exercice demandé.
Expérimenter: marcher, observer, se poser sur, appuyer, presser, enlever, séparer, porter, déplacer, déposer, heurter, traverser, considérant que ces gestes sont créateurs.

7 – La couleur pour exprimer l'espace
De tout temps il fut quelque peu dangereux de traiter de la couleur, à tel point quʼun de nos prédécesseurs se risqua même un jour de dire: le taureau devient furieux si on lui présente une étoffe rouge; mais le philosophe dés que lʼon parle seulement de couleur se met en rage “ Goethe “ tout savant dʼesprit philosophique a considéré les couleurs dʼun regard méfiant: elles incarnent les lois de la mutation, de la séduction, de la non vérité, lʼimprévu du phénomène contrariant, le caractère irrévocable dʼun message fort et en même temps un destin éphémère. Platon ne cessera de fustiger le bariolage dʼimitation, le cosmétique trompeur, lʼillusion de la couleur à laquelle il oppose le pur dessin qui mêne à lʼIdée. “ Manlio Brusatin , Histoire des couleurs.
Mais par contre, Matisse dessine par la couleur en taillant directement dedans.
La critique dʼart Phyllis Tuchman demande à lʼartiste Robert Ryman: “ Par rapport à la couleur et sa lumière, comment savez vous quʼun tableau est terminé? Ryman répond: “ Je sais quand un tableau est fini, en 1965 jʼai fait deux tableaux en relation lʼun avec lʼautre, le premier était peint à lʼémail pour réfléchir la lumière et le second à lʼhuile, trés mat pour absorber la lumière. Pour le tableau “mat” à lʼhuile, jʼavais décidé de faire cinq couches, la dernière couche je ne lʼai pas mise parceque jʼai pensé que le tableau était terminé, quʼil nʼen avait pas besoin. Je nʼavais pas décider de faire un tableau inachevé, cʼest arrivé comme ça, jʼai vu quʼà un moment la lumière et la matière se sont rejointes “.
Manipuler, commenter, le sens des éléments de la théorie de la couleur; les primaires, secondaires, froides, chaudes, complémentaires, rabattues, rompues, les nuances, les camaïeux, les contrastes.
( Luis Barragan, La Casa Gilardi )
Expérimenter les rapports des couleurs entre elles,suspendues dans le vide, en volume. Ecrire lʼespace avec les couleurs: faire le lien entre les notions de profondeur, de mouvement et lʼassociation couleur, forme, couleur, lumière: si un rectangle vertical semble plus dynamique quʼun rectangle horizontal, il le sera davantage si le vertical est rouge et lʼhorizontal bleu. Considérer le poids dʼune couleur, une couleur foncée est plus ancrée et lourde quʼune claire.Dans la dimension spatiale, en profondeur de champ, une couleur chaude vit à lʼavant, une froide repose à lʼarrière. Lʼimpact de la signification symbolique dʼune couleur: ex, le bleu est le calme, lʼ ordonné, le serein, le contemplatif... (Arakawa et Gins, Reversible destiny lofts)
Explorer lʼaspect matériel de la couleur sous forme de pigments et son aspect immatériel sous forme de projections lumineuses. (James Turrel," La lumière m'intéresse en fait comme la révélation même Je ne suis pas un artiste de la lumière. Je suis plutôt quelqu'un qui utilise la lumière comme matériau afin de travailler le médium de la perception ")
Interroger la couleur, cʼest considérer son support, isolé, recouvert, réceptacle, il est mémoire du temps de la couleur et de ses couches. “ Le support a une valeur de destin, il est présent et actif, surface et profondeur “ Mario Merz. Couleur par enduit, par imprégnation, par teinture, épaisse, diluée, frottée, grattée, mâte, brillante, transparente, en glacis, lʼinteraction de la couleur, de sa consistance et du support façonne le sens, le propos, lʼidée.
Explorer la consistance colorée sur différents supports, chercher lʼunité entre le concept, sa couleur et sa mise en espace quʼest le support. Couleur roulée, suspendue, empilée, emboitée.
Geoges Braque “Je travaille avec de la matière et non pas avec des idées. Si parfois je laisse à nu certaines parties de la toile elle même, cʼest parce que je tiens à faire vivre le tableau et non pas lʼidée. Un tableau est fini quand lʼidée sʼefface “.
A partir de volumes de même dimensions, chercher avec la couleur leurs differentes expressions et impacts dans lʼespace.Traduire des espaces perspectifs uniquement avec la couleur. Fabriquer un objet constitué de plusieurs volumes colorés et synthétiser les rapports entre les couleurs et leur prise de possession physique, psycologique et symbolique de lʼespace à partir dʼ un programme défini. (Yves Klein, « les monochromes qui ne sont pas des peintures, mais des surfaces de pure sensibilité. « Yves Klein ne parle-t-il pas d'architecture de l'air?
Michel Guillou dans “ Autopsie et esthétique du désir “: “Derrière le maquillage il nʼy a rien. Rien de caché, rien à découvrir ou à dévoiler.”

8 – Le projet, le site pour habiter et pour loger
“ Chaque seconde, chaque respiration, est une oeuvre qui nʼest inscrite nulle part, qui nʼest ni visuelle, ni cérébrale, mais qui est et qui est inévitable, incontournable “. Marcel Duchamp
La relation entre lʼespace et la ville donne lieu à une reflexion sur lʼécriture sculpturale de lʼurbain et notre capacité à la restructurer en lʼaffirmant ou le modifiant dans une formulation esthétique issue de son langage volumétrique et spatial. (Shigeru Ban , Curtain house, tokyo)
Comment oeuvrer sans ajouter de la matière ? Avec John Cage dans 4ʼ33”, la rumeur du public devient la pièce musicale à entendre, il nʼy a jamais de silence, lʼexistence est sons, imprévisibles, changeants, symphoniques.
La toile de Lucio Fontana, dʼune couleur monochrome est incisée, coupée, fendue avec une lame de rasoir. Occuper lʼespace de la toile sans utilisation de la matière, faire apparaître lʼinvisible, montrer le vide, celui-ci se révélant une matière dans et sur la toile, une matière sans poids, une matière qui est de lʼespace, ainsi sortir de lʼespace à deux dimensions de la toile en agissant avec rien comme matière, seulement un outil. Comment révéler le vide comme matière ? Lʼoutil peut-il être le révélateur, créateur de volumes ? (Coop Himmelblau, Stromboli museum)
“Au fond, je ne dirais pas que je fais des oeuvres en situation, mais j’essaie de faire oeuvre de situations” Ernest Pignon-Ernest, “ Ce sont les lieux eux-mêmes qui portent le potentiel créatif, j’approche la ville d’un point de vue plastique comme un sculpteur par rapport à ce qui se voit et aussi à ce qui ne se voit pas, j’étudie l’histoire des lieux, les souvenirs qui le hantent, sa réalité globale, et de ce travail naissent des images que je réinstalle dans le lieu lui-même “
A partir dʼun environnement sélectionné par affinités sensibles avec celui-ci, et la perception de ses points forts et de ses carences nécessitant une intervention, développer différentes propositions en utilisant pour chacune dʼelle les éléments mêmes de la parole du lieu, de son texte volumétrique fondateur, de lʼécriture de son espace par lʼinventaire de ses signes constituants: analyse des catégories dʼorganisation formelle. Les différents types de répartition et de développement. les lieux et espaces dʼarticulation, dʼimbrication, de pénétration. Les raccordements, les passages, les ruptures. La circulation de la lumière, ses effets dramatiques.La relation entre les rythmes formels, lumineux, chromatiques. (FNP, Schaustall)
Je pose la réalité du lieu contre l’illusion de l’art, l’oeuvre n’est pas autonome elle n’existe que par rapport a un lieu qui lui est totalement étranger, le travail est entièrement fabriqué par le lieu, l’oeuvre in situ, installée dans un site en modifie la perception, transforme le lieu pour en révéler des aspects que l’on avait jamais vus auparavent” Daniel Buren
La fonction signalétique de la couleur. La valeur dʼambiance des matériaux et textures. Le repère des trajets visuels. La symbolique de lʼorganisation des volumes. le rôle des déformations et illusions de notre perception. le lien entre lʼorganisation spatiale et son utilisation.
Picasso disait “ La création, cʼest nommer les choses dans lʼespace, je nomme lʼoeil, je nomme la table, je nomme la tête dʼun poisson...... nommer, cʼest tout, ça suffit.” Ecouter les mots, lʼessence du lieu qui provoqueront la figure, les concepts à lʼorigine de la forme, le texte dʼune pensée qui donnera du sens à la proposition nouvelle. Considérer lʼespace simultanement comme lieu dʼexpression, outil dʼexpression, matière, support à expression.
Les signes peints, les mots-sons, les images projetées, le corps qui exprime et celui qui sʼexprime ont pour origine lʼespace. Balayer ce lieu à lʼaide de croquis, de photos, de relevés de textures, dʼempreintes, de proportions, de notes écrites, colorées, sonores, filmées . Observer de jour et revenir de nuit. Lʼespace du lieu est le premier support du processus créatif. En effet tous les autres supports sʼinscrivent en continuité avec lʼespace sans fin dont ils sont un segment plus ou moins important. Cette continuité entre lʼespace du site et lʼespace environnant va impliquer la différenciation entre lʼ horizontale et la verticale. Etre dans, avec une implication physique, être devant suggérant une contemplation, un spectacle. (Lucy Orta, Habit habiter)
Le territoire n’est pas le site de l’oeuvre, il en fait partie” Walter de Maria
Choisir un point de vue, intervenir en utilisant sculpturalement les éléments qui sʼy trouvent, et les repositionner de manière à les re-présenter libres du processus de cause à effet: dans lʼalignement dʼun trajet visuel spécifique, en rupture: prendre ce point de vue et le re-présenter librement dans le vide du lieu, sous forme dʼune synthèse sculpturale de volumes, de couleurs, de textes, de matières sen résonance avec ce lieu. (Andréa Zittel, desert cabins)
Emmanuel Lévinas dans “Totalité et Infini” : “ Au moment même de la représentation, celle-çi nʼest pas marquée par le passé, mais lʼutilise comme un élément représenté et objectif. Illusion? Ignorance de ses propres implications? La représentation est le force dʼune telle illusion et de tels oublis. La représentation est pur présent. La position dʼun pur présent sans attache, même tangentiel avec le temps est la merveille de la représentation.Vide du temps qui sʼinterprète comme éternité (Giotto, Les fresques de la vie de St François à Assise)