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Glenn Murcutt Le centre éducatif Arthur and Yvonne Boyd à West Cambewarra (Nouvelle-Galles du Sud).
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GLENN MURCUTT,
" Il a choisi de ne construire que sur sa terre natale pour réduire son empreinte carbone, et ne dessine qu'au crayon. Rencontre avec Glenn Murcutt, le plus célèbre mais aussi le plus puriste des architectes australiens.
Glenn Murcutt, Simpson-Lee House, Mount Wilson (1994).
"Un architecte rare", c'est en ces termes que la Française Françoise Fromonot, auteur de la première monographie internationale sur Glenn Murcutt, parle de cet extraterrestre de l'art de bâtir. Rare, car l'Australien, pourtant lauréat du prix Pritzker en 2002, n'a jamais cherché à être médiatisé et demeure pour le grand public un parfait inconnu. Rare, parce que, en près d'un demi-siècle de carrière, cet adepte du "fonctionnalisme écologique" s'est toujours refusé à installer l'air conditionné dans un bâtiment et n'a cessé d'oeuvrer pour respecter l'environnement, de façon presque dogmatique. Rare, parce qu'il reste l'un des derniers monstres sacrés à ne pas avoir cédé aux diktats de la technologie et ne jure toujours que par son crayon. Rare, parce que, avec lui, l'architecture retrouve son sens premier, celui d'investir un sol pour y abriter la vie. Interview rare, par conséquent.
L'Express Styles : Vous travaillez sans ordinateur, sans passer par les nouveaux médias, presque sans équipe... Comment est-ce possible en 2013 ?
Glenn Murcutt : Je possède quand même un ordinateur pour taper mes lettres et mes cahiers des charges, mais, depuis le début de ma carrière, je ne l'ai jamais utilisé pour concevoir l'un de mes projets. Donc la réponse à la question est : "Oui, c'est possible !" Par ailleurs, même si je signe certaines réalisations avec mon associé, Reginald Lark, ou ma femme, Wendy Lewin, je suis un solitaire. Je n'ai pas de staff, pas de secrétariat, pas de réceptionniste. J'envoie mes fax, je fais ma comptabilité... et je dessine, bien sûr.
Glenn Murcutt Le centre éducatif Arthur and Yvonne Boyd à West Cambewarra (Nouvelle-Galles du Sud).Anthony Browell
Je m'organise comme j'en ai envie et cela fonctionne bien. Certes, la plupart de mes clients doivent attendre entre six mois et deux ans avant que je me penche sur leur dossier, mais ça me permet de distinguer les gens qui veulent vraiment travailler avec moi de ceux qui désirent une maison standard. Ces derniers ne peuvent pas patienter tout ce temps et c'est tant mieux, ça m'évite de devoir négocier avec eux !
1982; Kempsey tourist centre, Kempsey, NSW. Glenn Murcutt. Photography by Kenny Giblin.
Pourquoi cette aversion pour le dessin virtuel ?
Glenn Murcutt : Je ne suis pas contre l'ordinateur en soi, mais je le considère comme un simple outil. Il permet d'atteindre d'excellents résultats en matière d'ingénierie, mais quand il est utilisé pour épater la galerie, les bâtiments qu'il génère sont la plupart du temps compliqués et, structurellement, sans queue ni tête. Cela va totalement à l'encontre des logiques d'urbanisation bien pensées.
C'est-à-dire ?
Glenn Murcutt : Quand on se balade dans les rues de Londres ou de Paris, on est face à une variété de bâtiments, mais aussi face à un environnement urbain qui forme un tout. En Chine, aujourd'hui, où l'on utilise l'informatique à outrance, on ne perçoit pas cette globalité. Tous les buildings s'apparentent à de la gymnastique architecturale. Et je trouve ça inintéressant !
Vous dites que le dessin décide en premier et que l'esprit suit...
Glenn Murcutt : En effet, souvent la main arrive à une solution avant même que l'on en prenne conscience. Je donne à lire à tous mes étudiants The Thinking Hand, de Juhani Pallasmaa. Selon le journal The Guardian, c'est le bouquin d'architecture le plus important de ces trente dernières années, car il explique parfaitement en quoi dessiner à la main, que ce soit pour l'esquisse, la programmation des fonctions ou les détails de construction, fait partie intégrante du processus de création.
L'ordinateur a détruit tout ce champ de réflexion architecturale axé sur la connexion entre l'oeil et la main. Et les jeunes n'en sont pas conscients. C'est pourquoi je n'autorise mes étudiants en dernière année d'architecture à utiliser leur ordinateur que pour leur présentation finale. Cela les frustre énormément parce qu'ils ont pris l'habitude de toujours se référer à ces machines. Mais j'ai reçu des lettres d'anciens élèves, cinq ans plus tard, qui me disaient : "Je viens seulement de réaliser à quel point votre cours était important."
Vous vous êtes intéressé à l'architecture durable bien avant que tout le monde en parle, d'où vient cette sensibilité ?
Glenn Murcutt : De mon père, qui était designer, entrepreneur et menuisier. Il dessinait déjà des bâtiments intégrant parfaitement le concept de ventilation naturelle. Ce qui implique de prendre en compte les vents, la course du soleil, le climat, mais aussi l'implantation du bâtiment sur ou dans le sol, ses matériaux, ses fonctions. La rencontre de tous ces éléments fait que, d'un point de vue environnemental, cela fonctionne.
Il faut aussi recourir à des techniques qui permettent de se protéger naturellement. En minimisant les déperditions de chaleur, en maximisant l'apport de lumière et en se préservant de la surchauffe, avec un lattage en bois qui filtre le rayonnement, par exemple. J'ai expérimenté cela très jeune.
1994; Glenn Murcutt - Bowali visitor’s center at Kakadu National Park, Northern Territory Australia. Photography by John Gollings
Pourquoi avoir toujours bâti en Australie ?
Glenn Murcutt : Culturellement, c'est le pays que je connais le mieux. Et si je construisais à l'étranger, je devrais y avoir si possible un bureau, ce que je ne désire pas. Je ne veux pas perdre le contrôle de ma pratique et je ne vois pas d'intérêt à disséminer mes réalisations de par le monde. Je préfère localiser mon architecture et réduire mon empreinte carbone. Je ne prendrai, par exemple, jamais un avion pour une simple conférence ou une réunion de chantier en Europe. J'essaie de combiner les rendez-vous. L'homme a perdu sa capacité à se préoccuper de la nature, et c'est une tragédie.
Glenn Murcutt Magney House, baies vitrées et stores régulent la lumière et la chaleur. Anthony Browell
Considérez-vous que les gens ne savent plus comment bien utiliser leur maison ?
Glenn Murcutt : Une maison se manoeuvre comme un bateau, mais la plupart l'ignorent. Quand le vent vient dans l'une ou l'autre direction, il faut ouvrir telle ou telle fenêtre. Une habitation n'est pas un objet statique ou mort. C'est un organisme vivant qui doit s'adapter aux besoins de ses habitants. C'est pour cela que mes projets comptent beaucoup de fenêtres, de moustiquaires, de pare-soleil, ajustables ou fixes. Un jour, une cliente m'a dit : "Quand le clair de lune entre à l'intérieur de la maison, c'est magnifique. On dirait que vous l'avez dessinée en fonction des mouvements de cet astre." Ce n'était bien sûr pas le cas, mais je me suis rendu compte d'un principe : quand on se fixe de bonnes bases, liées à l'environnement, d'autres choses en découlent naturellement. Il suffit alors de ne pas les contrecarrer.
Vous vous tenez volontairement en recul, mais vous êtes une sommité de l'architecture. Comment expliquez-vous cela ?
Glenn Murcutt : J'ai eu une carrière chanceuse que je ne m'explique toujours pas... Je n'ai jamais cherché à communiquer sur mon travail ni sur ma personnalité. Je déteste vraiment la publication par vanité. Pourtant, je suis invité un peu partout pour des conférences, je suis membre du jury du prix Pritzker. Si vous m'aviez demandé, il y a trente-cinq ans, si je pouvais m'imaginer tout cela, la réponse aurait été "absolument pas".
N'êtes-vous pas lassé de construire ?
Glenn Murcutt : J'approche des 80 ans, et l'architecture m'enthousiasme toujours autant. Je réalise actuellement une mosquée, qui est en chantier, à Melbourne, c'est un projet passionnant. Beaucoup pensent que, pour réussir et avoir du succès, il faut construire des bâtiments hauts et, évidemment, à l'étranger. Je ne cherche pas à avoir ce genre de trophées. Je suis dans le métier depuis quarante-sept ans et, durant tout ce temps, j'ai toujours agi "dans l'ombre". Comme le dit le philosophe américain Henry David Thoreau : "Quelles que soient les choses que l'on fait dans sa vie, le plus important est de les faire extraordinairement bien !" Mon plus grand plaisir consiste à faire des choses ordinaires, chez moi, mais du mieux que je peux et sans concessions par rapport à ma vision du métier.
Glenn Murcutt en 7 dates
1936 : Naît à Londres.
1969 : Ouvre à Sydney son agence d'architecture en défendant "le fonctionalisme écologique".
1991 : Participe pour la première fois à la Biennale d'architecture de Venise.
1992 : Reçoit la médaille Alvar Aalto.
1994 : Livre la maison Simpson-Lee, en Australie.
2002 : Reçoit le prix Pritzker.
2009 : Reçoit la médaille d'or de l'Institut américain des architectes.
Article :Fanny Bouvry