Dans le cadre de notre étude sur le " paysage " et les paralléles entre les jardins de Gabriel Guévrekian et ceux de Fletcher Steele, nous ferons les liens entre l'architecture du Japon, le cubisme, et les oeuvres de Kandinsky
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Le Japonisme en architecture est le Travail Personnel de Fin d'Etudes pour l'obtention du diplôme d'architecte soutenu en juin 1993 à l'Ecole d'Architecture de Normandie - Darnétal
par Agnès Salacroup
DOSSIER DONT VOICI UN EXTRAIT:
La Mouvance américaine
Les Etats-Unis et le Japon
F.Ll. Wright
Le Style de la Baie
Antonin Raymond
Adolf Loos, dans ses démonstrations, s'appuyait sur l'Amérique, considérant ce pays comme un modèle de référence. Ce sont les Etats-Unis qui avaient largement alimenté ses idées, et c'est là-bas qu'il avait puisé la source de ses théories. Ayant toujours eu une attirance pour ce pays, il avait même incité certains de ses jeunes élèves viennois à franchir l'Atlantique au début du XXème siècle (R.Schindler, R.Neutra) (1), fort de l'expérience personnelle qu'il avait vécu à New-York, Philadelphie et surtout Chicago, entre 1893 et 1896.
Précisément à la même époque, en 1893, Samuel Bing, qui avait largement contribué à introduire l'art japonais en France dès 1875 (voir Ouverture), était envoyé aux Etats-Unis, chargé par le gouvernement français sous la tutelle du Directeur des Beaux-Arts Henry Roujon, d'y enquêter sur les arts décoratifs et industriels. C'était à son retour à Paris, en 1895, qu'il avait décidé de transformer sa galerie d'objets d'art extrême-orientaux, ouverte 22, rue de Provence, 20 ans auparavant après son séjour au Japon en 1875, en "Salon de l'Art Nouveau".
Paradoxalement, les Etats-Unis se sont trouvés à l'origine de la mise en forme simultanée, en Europe, de deux théories a priori antagonistes. Adolf Loos et Samuel Bing avaient chacun rapporté de leur séjour respectif en Amérique des idées bien différentes. Adolf Loos avait trouvé une justification du purisme qu'il préconisait, alors que Samuel Bing, au contact d Tiffany (2) se confortait dans la plus pure tendance Art Nouveau.
En transformant sa galerie parisienne, Samuel Bing n'avait rien renié de sa première période purement japonisante. Au contraire, elle avait été un passage nécessaire dans cette évolution qui, à la fin du XIXème siècle, lui avait fait franchir la limite entre l'art japonais et l'Art Nouveau. Et le Japon, comme l'une des sources de cette nouvelle tendance qui par réaction anti-historiciste cherchait une extension de son vocabulaire de formes, avait gardé une place importante dans le "Salon de l'Art Nouveau"; les amateurs d'art japonais y étaient, eux-aussi, toujours aussi présents qu'auparavant.
Les Etats-Unis et le Japon
Aux Etats-Unis aussi, la marchandise proposée par Samuel Bing était recherchée, et dans la boutique qu'il avait ouverte à New-York dans les années 1880, se pressait le milieu japonisant américain d'alors. Suivant la même vogue du japonisme, le commerce de Samuel Bing était aussi florissant à New-York qu' à Paris.
Le développement de cette mode qui consistait tant à posséder des originaux qu'à puiser l'inspiration créatrice, avait laissé se détacher Charles L. Tiffany, dont les présentations aux expositions universelles étaient toujours très remarquées en Europe. C'est d'ailleurs à la suite de l'exposition parisienne de 1878, à l'occasion de laquelle il avait rencontré Edward C.Moore, collectionneur et orfèvre, associé à Ch.L.Tiffany à New-York, que Bing avait ouvert cette boutique sur la 220ème Avenue. Et, avec Samuel Colman et John La Farge (3), Ed.C.Moore et Louis C.Tiffany restaient parmi ses meilleurs clients new-yorkais.(4)
Ainsi, à l'instar des européens, les Américains avaient largement contribué à développer cette mode du japonisme, que l'ouverture du Japon dont ils étaient tout de même responsables avait engrenée. Et celui d'entre les américains, représentant le mieux ceux pour lesquels le Japon fut un sujet d'études passionnant reste Dr.Morse.
Dr.Edward Sylvester Morse (1838-1925), zoologue, ethnologue, archéologue, en quête de brachiopodes marins, s'embarquait en 1877 pour le Japon, où il devait rester trois ans, acceptant la proposition du gouvernement japonais lui confiant la chaire de zoologie de l'Université impériale de Tokyo. Ses autres séjours, jusqu'en 1882, lui avaient permis de poursuivre ses recherches zoologiques, mais aussi de s'intéresser d'une façon très minutieuse aux maisons japonaises et à leurs jardins. Cette fine étude (5), publiée pour la première fois en 1885, est un classique dans le domaine de l'architecture traditionnelle japonaise, et restée longtemps sans vraie rivale, elle demeure un travail de référence.
En 1898, décoré de l'ordre du Soleil-Levant, par l'Empereur du Japon, Dr.Morse fut le premier américain a être ainsi honoré. Dr.Morse se place parmi les pionniers qui ont interprété la culture japonaise, et grâce à son ouvrage parmi les plus célèbres aussi.
De ces autres américains à s'intéresser au Japon et plus particulièrement à son architecture, mais aussi de la génération suivante à celle du Dr.Morse, il y avait R.A.Cram.
Ralph Adams Cram (1863-1942) était déjà reconnu comme étant l'un des architectes les plus compétents, à son époque et aux Etats-Unis, en matière d'architecture médiévale et un représentant talentueux du "style gothique" (6) lorsqu'il fut invité au Japon en 1898 (All Saint's Church, Ashmont, aux environs de Boston date de 1892). Arrivé à Yokohama le 14 février 1898, il devait repartir du Japon, avec la promesse qu'il serait l'auteur du projet du nouveau Parlement de Tokyo, soutenu par son ami Ernest F. Fenollossa qui vivait alors à Tokyo (7).
Bien que le projet, suite à la chute du gouvernement Ito, ne put être réalisé, Cram, au cours de ce séjour de quatre mois, avait amassé suffisamment de documents pour publier en 1905 Impressions of Japanese Architecture and the Allied Arts, et si ce séjour n'a pas bouleversé sa manière personnelle de projeter, il l'a, au moins, justement avisé sur l'architecture locale.
D'ailleurs, Cram, professeur d'architecture à l'Institut de Technologie du Massachussetts, Directeur de l'Atelier d'Urbanisme de la Ville de Boston, fut, parmi ceux qui en Amérique ou en Europe se sont accordés à reconnaître une influence de l'architecture japonaise sur les pionniers occidentaux de l'architecture moderne, l'un des premiers à la décrire chez ses confrères tels que Greene et Greene (8).
Et si une influence japonaise chez Frank Lloyd Wright, de seulement quatre ans le cadet de Cram, a souvent été évoquée, elle est aussi nettement perceptible chez les élèves du maître tels que R.Schindler, R.Neutra, sans oublier le cas bien particulier d'Antonin Raymond.
Frank Lloyd Wright (1869-1959)
Il est, déjà depuis longtemps, courant de trouver signalée l'architecture japonaise comme l'une des principales sources ayant inspiré Frank Lloyd Wright (1869-1959). De la simple allusion superficielle, à la tentative d'interprétation de "ce qui est japonais" dans son oeuvre, il est devenu quasi systématique d'associer le Japon à l'architecture de Wright.
D'une façon non exhaustive, de Le Corbusier qui trouve les "villas (de Wright) spirituelles et souriantes ... d'un rire japonais" (9), à Jean Badovici pour lequel Wright:
"sous l'influence des temples asiatiques, dont il avait approfondi l'esprit sans trop s'attacher à l'apparence formelle, a su créer des masses vides, des formes logiques, exemptes d'ornementation, des volumes qui s'inscrivent fièrement dans la lumière, des architectures qui répondent absolument aux lois imposées par les nouveaux moyens de construction (10).",à M.Malkiel-Jirmounsky qui considère que:
"la conception cubiste des masses et des volumes adroitement répartis accuse nettement l'influence de l'Extrême-Orient, de la Chine et du Japon. C'est à cette influence qu'on doit attribuer peut-être la division horizontale des constructions alors qu'elle est généralement verticale dans la nouvelle architecture (11).",la liste reste encore longue.
Mais, toutes ces citations qui font référence à l'architecture extrême-orientale et japonaise en particulier, sont moins osées en ce qui concerne Wright, qu'en ce qui concerne les autres architectes pour lesquels cette influence moins directe reste aussi moins évidente à déduire, car l'activité qu'il avait eue au Japon, était déjà largement connue.
Les éléments les plus souvent cités (horizontalité, toitures imposantes, volumes blancs...) s'apparentent à la première génération de ses constructions, les "prairie houses", contemporaines de son premier séjour au Japon. En fait, c'est son second séjour, de 1919 à 1921, qui marque la charnière avec sa "deuxième période", et aussi ce sont peut-être certains de ces changements qui la caractérisent qui sont à accréditer au Japon.
- Ses liens avec le Japon - Sans revenir sur le fait que certainement l'un des premiers contacts que Wright ait pu avoir avec le Japon remonte, tout comme Adolf Loos, Samuel Bing, les frères Greene, à sa visite, en 1893, du pavillon japonais de l'exposition colombienne de Chicago, les vraies relations qu'il ait pu entretenir avec ce pays ont été en fait plus significatives.
Frank Lloyd Wright avait fait son premier voyage au Japon en 1905 (il avait déjà 36 ans), accompagné de sa femme et de ses clients M. et Mme Ward Willits (12). Ce premier séjour lui avait permis d'approcher et d'apprécier l'art japonais. En 1906, il exposait au Art Institut of Chicago la collection d'estampes japonaises qu'il avait commencé un an auparavant. Il possédait alors aussi des sculptures, peintures, laques et paravents japonais.
Plus anecdotiquement, c'était en souvenir du Maître japonais qu'il avait dénommé son cheval noir "Kano" (13).
Et, en 1912 il publiait The Japanese Print: an Interpretation.
Wright avait pu poursuivre, au cours de son séjour de 1919 à 1921 à Tokyo, sa propre collection d'oeuvres d'art japonaises; il avait aussi été chargé de constituer celle d'une riche famille de Boston, et de sélectionner des objets pour le Chicago Art Institut et le Metropolitan Museum.
"A mesure que se poursuivait le travail et le séjour Outre-mer, les poteries et les sculptures chinoises et les écrans Momoyama se déversèrent dans les pièces où, au bout de quelques années, chaque objet individuel utilisé en vue d'un accent décoratif devint une "antiquité" de qualité rare (14)."Ces "années Outre-mer", Wright les avait passées à Tokyo, à assurer la construction du nouvel Hôtel Impérial. Wright avait obtenu la confirmation de cette commande dès 1915, après que M.HAYASHI Aisaku, alors Directeur de l'Hôtel Impérial à Tokyo après avoir tenu une boutique de curiosités orientales à New-York, soit venu, accompagné de son épouse (tous deux habillés de kimonos traditionnels!) à Taliesin II. En fait, Wright avait déjà entamé les négociations et fait quelques esquisses avant 1915.
A la fin de l'année 1919, Wright quittait Taliesin avec Mme Noël, pour embarquer à Seattle à bord du paquebot japonais le "Suwa Maru" à destination de Yokohama. Ils étaient accompagnés d'Antonin Raymond que Wright avait embauché comme dessinateur pour ce projet et de Noémi son épouse française. Les deux couples s'étaient rencontrés en 1915, grâce à une amie commune des deux femmes. Ils ont fait la traversée en compagnie de M.Yukio Ozaki, ministre du gouvernement japonais.
Ils débarquèrent au Japon, le 31 décembre 1919, au soir, allant de Yokohama à Tokyo dans l'ambiance des festivités du nouvel an. Là, ils résidèrent dans l'ancien Hôtel Impérial, où étaient déjà arrivés M.Paul Mueller et son épouse. Mueller, entrepreneur d'origine allemande était à Tokyo pour prendre en charge la construction du nouvel Hôtel Impérial de F.Ll.Wright. C'est lui qui avait réalisé la plupart des projets de Wright à Chicago.
Dès leur arrivée, Wright avait installé des bureaux temporaires sur le chantier. Il y avait le sien, celui de Raymond, celui de Mueller, et celui de l'équipe des dessinateurs japonais dont Arata Endo faisait partie. Le travail sur place était surtout consacré à l'exécution, la plupart des plans ayant été effectuée à Taliesin auparavant. Le principal sujet d'étude provenait des matériaux dont une pierre extraite des carrières d'Oya près de Nikko.
L'Hôtel Impérial reste la réalisation la plus connue de Wright au Japon, certainement d'abord à cause de son envergure, mais aussi par le fait que peu de temps après son achèvement, elle devait saisir d'étonnement en restant intacte après le tremblement de terre qui avait détruit la majeure partie de Tokyo, en 1923.Paradoxalement, la construction en béton armé de cet occidental, qui avait paru si particulière et qui avait été si controversée, avait résisté à ces fortes secousses auxquelles les constructions japonaises, séculairement conçues pour résister, avaient presque toutes cédé.
Mais l'Hôtel Impérial, certes la commande japonaise la plus prestigieuse de Wright, ne fut pas la seule. Wright avait aussi participé à la réalisation de quatre autres projets au Japon: trois maisons et une école.
Wright a projeté à Tokyo, la maison de M.Hayashi A., le même qui était venu contacter Wright à Taliesin pour la construction de l'Hôtel Impérial. Bien que sur le projet de cette maison (15), Wright n'ait vraisemblablement exécuté que les esquisses, laissant le soin aux artisans impliqués dans la construction de peaufiner tous les détails, la construction achevée révèle certaines caractéristiques du style de Wright, notamment un séjour ouvert, orienté au sud.
Outre la maison de M.Arinobu Fukuhara, construite à Hakone, Wright réalisa la résidence de M.Yamamura (15) près d'Osaka.
Cette maison de quatre étages élevés à flanc de coteau, est construite sur un promontoire dressé sur la rive gauche de la rivière Ashiya. Elle s'ouvre selon un angle de 120°, suivant la courbure du versant. Ses principaux matériaux de construction sont la pierre d'Oya et le bois d'acajou.
Enfin, la dernière construction de Wright au Japon, fut, en plein coeur de Tokyo, "l'école du libre esprit", Jiyu Gakuen (15), achevée en 1921.
Wright confia la réalisation de cette école de filles à Arata Endo, qui faisait partie de son équipe au Japon. M.Arata Endo était un adepte de l'architecture organique, et son fils fut un membre de la communauté de taliesin, avant d'être un architecte couronné de succès au Japon.
F.Ll.Wright avait souhaité que cette école soit "un lieu simple et gai pour des enfants heureux". La construction est formée par deux longues ailes d'un seul niveau, dépassant de la structure centrale de pierre d'Oya et de bois s'élevant, elle, sur deux niveaux, et autour de laquelle elles se déploient en L.
Avant d'interpréter les différentes incidences de ses relations étroites avec le Japon, sur ses constructions réalisées en occident, surtout à partir de son retour du deuxième voyage, le plus long et sans doute le plus influent, on peut d'ores et déjà constater des répercutions sensible sur son graphisme.
Wright était déjà apprécié pour son graphisme spécifique dès le début de sa carrière; mais on peut penser que le Japon a pu accentuer l'assurance de certains côtés de son originalité caractérisée par rapport au conformisme de ses confrères d'alors. On peut remarquer cette originalité, par exemple, simplement dans la mise en page de certains dessins ou par des habitudes graphiques caractéristiques.
Wright avait souvent utilisé le format étroit, tout en hauteur pour ses représentations de façades ou d'intérieurs accusant de grandes verticales (16).
Particulièrement dans sa perspective de la maison Thomas P.Hardy, Racine, Wisconsin, la position, excessivement décentrée vers le haut du format, accentue l'effet de verticalité d'une façon comparable aux kakemonos japonais, dont le format laisse "flotter les figures" (17).
77-Maison Hardy, F.Ll.Wright. Ce dessin date de 1905, soit la même année que le premier séjour de Wright au Japon.78-La cascade de Nachi, XIVème siècle
.D'autre part, Wright avait, peut-être aussi, rapporté du Japon, ce goût pour l'emploi du carré rouge, qui prenait la forme et la couleur des sceaux japonais (18), comme signature de ses plans. Un tel carré apparait pour la première fois sur les plans du projets du Club nautique Yahara, Madison, Wisconsin, datés de 1902, puis sur ceux de la célèbre maison Frederick C.Robie, Chicago, Illinois, datés eux de 1906. Mais, en fait, les deux sépias n'avaient été dessinés que plus tardivement, destinés à être présentés à l'exposition itinérante de 1930 (19).
L'une des premières signatures de Wright accompagnée d'un carré rouge, se trouve sur les plans de l'Hôtel Impérial ,
avant qu'elle ne devienne beaucoup plus courante, et comme une marque distinctive, à partir des années 1920.
1922-23: maison G.Millard, Pasadena;1924: projet pour la Cie nationale d'assurance vie de Chicago;
1929: maison Richard Lloyd Jones, Tulsa;
1944-48: maison Herbert Jacobs, Middleton;
1945: maison Lowell Walter, Quasqueton;
1950: maison David Wright, Phoenix;
1954: Synagogue beth Shalom, Elkins Park;
1956: projet de tour d'un mile de haut, Chicago;
...Et, tout comme Mackintosh ou Hoffmann, F.Ll.Wright avait réussi à faire déborder ce carré du simple dessin pour l'inscrire sur ces constructions, comme motif décoratif justifiant aussi sa signature (Magasin Morris, San Francisco, 1948-50), et aussi comme élément même de la construction:
"(...) Il invente, à son retour du Japon, en collaboration avec son fils Lloyd, une nouvelle sorte de béton, dit "textile blocks". Ces blocs de béton comportent des dessins imprimés dans la matière. Insérés dans un schéma complexe, ils peuvent former des compositions murales. Creux, ces blocs pèsent un poids réduit. (20)"utilisé notamment pour la maison G.Millard, Pasadena, Californie, 1922-23, et pour la maison Ch.Ennis, Los Angeles, 1923-24...
L'une des premières signatures de Wright accompagnée d'un carré rouge, se trouve sur les plans de l'Hôtel Impérial ,
avant qu'elle ne devienne beaucoup plus courante, et comme une marque distinctive, à partir des années 1920.
1922-23: maison G.Millard, Pasadena;1924: projet pour la Cie nationale d'assurance vie de Chicago;
1929: maison Richard Lloyd Jones, Tulsa;
1944-48: maison Herbert Jacobs, Middleton;
1945: maison Lowell Walter, Quasqueton;
1950: maison David Wright, Phoenix;
1954: Synagogue beth Shalom, Elkins Park;
1956: projet de tour d'un mile de haut, Chicago;
...Et, tout comme Mackintosh ou Hoffmann, F.Ll.Wright avait réussi à faire déborder ce carré du simple dessin pour l'inscrire sur ces constructions, comme motif décoratif justifiant aussi sa signature (Magasin Morris, San Francisco, 1948-50), et aussi comme élément même de la construction:
"(...) Il invente, à son retour du Japon, en collaboration avec son fils Lloyd, une nouvelle sorte de béton, dit "textile blocks". Ces blocs de béton comportent des dessins imprimés dans la matière. Insérés dans un schéma complexe, ils peuvent former des compositions murales. Creux, ces blocs pèsent un poids réduit. (20)"utilisé notamment pour la maison G.Millard, Pasadena, Californie, 1922-23, et pour la maison Ch.Ennis, Los Angeles, 1923-24...
Mises à part ces habitudes graphiques qui vont jusqu'à transparaître sur ses constructions, certaines autres incidences qui peuvent aussi être attribuées à ses relations étroites avec le Japon, à un moment donné de sa carrière, sont aussi plus remarquables sur son architecture.
- Ses réalisations aux Etats-Unis - Les "éléments empruntés" à l'architecture traditionnelle japonaise caractéristiques dans les réalisations de Wright, sont toujours associés à sa "première période", celle des prairie houses; toutefois, et malgré le tournant engagé au début des années 1920, certains de ces éléments, par exemple le plan ouvert, restent présents dans ses réalisations ultérieures, et sont même développés comme la constance d'un thème.
En fait, ces éléments considérés isolément sont tous liés entre-eux, découlant naturellement les uns des autres pour ne former qu'un tout unitaire et cohérent. Par son intérêt accordé à la nature, sont expliquées les relations intérieur/extérieur particulièrement étudiées chez Wright, qui entraînent, par l'intermédiaire du plan ouvert, une organisation spécifique de la construction sur le site, et son intégration à l'environnement, notamment par de longues horizontales, appuyées par des toitures importantes.
Le toit est, en effet, l'une des composantes les plus importantes dans les maisons de wright; c'est au moins surtout l'une des plus flagrantes à une époque où la tendance était plutôt à le renier.
"Comme ses toits débordaient pour accentuer l'adéquation de la maison et du sol, on reprochait aux maisons de Wright d'être trop obscures. Mais Wright répondait: "l'homme comprend que sans toit protecteur il n'y a pas de vraie maison. Il se met à désigner sa maison par le mot "toit"". (21)"L'obscurité, engendrée par le toit, symbole même de la maison, reprochée aux maisons de Wright, est bien le principe de base, imposé aux Japonais par les lourdes toitures nécessaires à protéger les fragiles parois de leurs constructions, avec lequel ils ont dû composer en sachant y puiser toutes les qualités.
Et, par la même préoccupation d'intégration à la nature environnante:
"l'attachement à l'horizontal est enraciné dans la volonté active des Japonais à être en harmonie avec la nature. La nature n'est pas un adversaire; l'environnement n'a pas à être conquis. (23)" (ill.84)
Cette volonté d'intégrer la construction à l'environnement, Wright y parvenait aussi, non seulement par la forme qu'il donnait à ses bâtiments, mais aussi par leur organisation sur le site. Il a développé ses "prairies houses" selon deux grands modèles d'organisation: celui suivant un plan relativement compact dessinant la forme d'une croix; et celui essaimant sur tout le site divers pavillons plus ou moins reliés entre-eux. Et c'est ce deuxième modèle d'intégration par dispersion qui est intéressant par rapport au Japon, non seulement pour les bâtiments eux-mêmes, mais aussi pour les différents liens et le parcours qu'ils induisent.
"La maison se disloque en éléments plus nombreux, plus petits. La "boîte" était l'une des bêtes noires de wright, non pas tant par goût que parce qu'il lui semblait absurde de conserver une forme obsolète si une nouvelle était possible, à la fois plus logique, plus efficace et plus satisfaisante pour l'agrément et l'esthétique. La maison peut devenir une série de petits pavilons délicats, reliés les uns aux autres par des galeries ou des promenades.(...) Le plan disséminé crée de l'ombre, multiplie les parois et permet de répondre architecturalement aux écarts de température; il transforme la maison plantée dans son jardin en une unité d'une substance nouvelle, en une expérience quotidienne délicieuse à vivre qui cumule les bienfaits de l'intérieur et les plaisirs de la vie en plein air. (24)"
Ce type de composition est une constante au Japon, où, qu'il s'agisse d'architecture religieuse (temples bouddhiques comme sanctuaires shinto), d'architecture militaire, des villas et palais impériaux, ou des simples habiations particulières, dans des proportions relatives, la totalité de la propriété ne s'entend que par l'ensemble des édifices inclus dans l'enceinte. Et, participant à la vie à l'intérieur de l'enceinte, le site est totalement considéré comme élément constitutif de l'ensemble, au même titre que les édifices eux-mêmes.
Les différents liens entre les pavillons sont autant de lieux privilégiés: galeries couvertes, passerelles (à fleur d'eau comme au sanctuaire d'Itsukushima, ill.84), ou simplement un chemin agrémenté de pierre (Katsura), qui font de la construction autant un lieu de vie qu'une promenade.
"Comme le remarque Blake, à l'approche directe de la tradition européenne classique, le Japon préférait un parcours indirect fait d'inflexions et de surprises constamment renouvelées."Il peut y avoir un portail, puis une haie ou une clôture qui vous oblige à tourner, une promenade par des jardins, avec quelques marches montantes, descendantes, quelques nouveaux changements de direction dans des jardins plus petits, plus grands, avec ou sans bassins... jusqu'à ce que soudainement un angle du bâtiment apparaisse derrière un buisson... Taliesin a été conçu exactement de cette façon: non pas sur le papier, avec un diagramme, mais par un grand artiste capable de visualiser une séquence progressive de formes, d'espaces et de changements de points de vue, un jeu de surprises d'effets d'ombres et de lumières aux sources inattendues." (25)"Taliesin comprend, en outre, un autre aspect de l'architecture japonaise: celui de l'impermanence.
Les différents incendies qui ont imposé à Wright les successives reconstructions ont fait de Taliesin une oeuvre de lente maturation; un peu à la manière de l'architecture japonaise qui n'a jamais rien représenté de définitivement figé, soumise au gré des fréquents tremblements de terre. Cette constante évolution n'est d'ailleurs rendue possible que grâce à la dispersion des bâtiments.
"Grâce à la dissémination, Taliesin est en permanente évolution, toujours susceptible de modifications. Le moindre épaississement d'un mur en fin de course, au bout d'une droite lancée loin devant dans le paysage, peut se développer en un nouvel organisme croissant selon la même règle que les mases principales dont il émane." (26)Cette croissance "organique" de la construction a une relation directe avec la liberté de conception du plan intérieur, traduite dans les réalisations de Wright par le "plan-ouvert". Les plans de Wright étaient une innovation par rapport aux modèles typiques relatifs au mode de vie occidental.
A l'inverse des organisations intérieures où les pièces étaient fermées, isolées les unes des autres pour n'être articulées que par un couloir interne, et avec une fonction spécifique réservée à chacune d'elle, Wright créait des espaces ouverts, éliminant les murs et les portes pour ne séparer les espaces les uns des autres que symboliquement par quelques artifices, et laisant l'espace central libre dee toute attribution (et dénomination) fonctionnelle.
"Je déclarai que tout l'étage ... serait d'une seule pièce, en séparant la cuisine comme laboratoire... Ensuite, je séparai par des écrans diverses portions de la grande pièce en vue de certaines fonctions ménagères telles que le repas, la lecture, la réception des visiteurs... la maison acquit plus de liberté en tant qu'espace, et devint aussi plus habitable." (27)
Le couloir, épine dorsale du plan occidental que Wright a fait disparaître dans ses plans, n'existe pas non plus dans la maison traditionnelle japonaise (28). Sans lui, traditionnellement, les pièces ne pouvaient rester sans relations, donc isolées les unes des autres. Communicantes, elles servaient de passage pour se desservir entre-elles. En fait, le plan ne représente qu'une surface, divisible à volonté par des parois mobiles.
La flexibilité de l'espace induit ausi la flexibilité de son utilisation. Les pièces ne sont pas destinées à répondre à une fonction précise, mais plutôt à être multi-fonctionnelle, ce qui est rendu possible grâce au vrai caractère mobile du mobilier japonais. La pièce principale, i-ma, qui est aussi la base de la composition, correspond au séjour, mais aussi à la pièce de réception de certains invités (voisins), la salle de jeux des enfants, l'endroit où la maîtresse de maison effectue ses tâches domestiques, aussi bien que la chambre à coucher principale et la salle à manger dans certains cas.
Concept Fonction
Zashiki chambre à coucher
Tsugi-no-ma réunions familiales
Naka-no-ma salle à manger
Cha-no-ma cuisine
Daidokoro chambre d'invités
Yudono bains/toilette
Otearai bureau (29)
En fait, l'espace peut-être le plus flexible dans la maison japonaise serait l'engawa associé à chacune des pièces. Sans réelle équivalence en occident, il est souvent assimilé à la véranda. Il est l'espace intermédiaire, longeant la majeure partie de la périphérie de la maison, où se rencontrent l'intérieur et l'extérieur. L'extérieur, de partout visuellement présent dans la maison, et grâce à la forme générale de la construction et au jeu des parois coulissantes, aux endroits les plus inattendus, est ici accessible.
En mettant directement en relation l'intérieur et l'extérieur, l'engawa devient, en tant qu'espace de transition, autant une extension de l'intérieur sur l'extérieur, qu'un prolongement du jardin vers l'intérieur de la maison, selon l'endroit où l'on se situe. Cet espace spécifiquement japonais renforce le sentiment d'un fort attachement à la nature.
"Mon sentiment du mur, ce n'est plus la paroi d'une boîte. C'était une clôture de l'espace donnant, seulement quand il en était besoin, une protection contre la tempête ou la chaleur. Mais elle devait aussi faire entrer dans la maison le monde extérieur. C'est dans ce sens que je travaillais le mur et l'amenais vers la fonction d'un écran, un moyen d'ouvrir l'espace qui, à mesure que s'accusait notre maîtrise sur les matériaux de construction, allait finalement permettre la libre utilisation de l'espace tout entier sans affecter la solidité de la construction... la maison commençait à s'associer au terrain et à devenir naturelle à son emplacement sur la prairie."(30)Une autre idée propre à l'architecture japonaise est présente dans les plans de Wright, sans qu'elle lui soit d'ailleurs totalement exclusive: il s'agit de la composition du plan à partir d'une trame régulière, représentée au Japon par celle constituée par le module du tatami (double carré d'environ 0,90.1,80m).
La maison George Millard (1922-23), projetée à son retour du Japon (ill.79), est l'une des premières maisons dont les plans sont composés à partir d'un quadrillage. Et, si les premières trames utilisées par Wright étaient basées sur le carré, il a aussi exploité le principe des trames composées de figures géométriques plus complexes (triangle: San Marcos du Désert, Arizona, 1928...; hexagone: Honeycomb house, Californie, 1936-37...) avant de superposer ces trames dans des combinaisons triangle/hexagone ou carré/cercle (projet maison Vigo Sundt, Madison, Wisconsin, 1941; maison Laurent, Illinois, 1949-52...).
Enfin, le dernier rapprochement que l'on puisse faire entre l'architecture de F.Ll.Wright et l'architecture japonaise, sera celui de Daniel Treiber dans sa description de la maison Price Sn (1954):
"La maison Price Sn combine des murs massifs, fruités comme le soubassement d'une forteresse japonaise."(31)Frank Lloyd Wright avait fait des émules, et après Louis Sullivan, c'est lui que les jeunes architectes cherchaient à rencontrer. Il avait trouvé ses disciples en ces jeunes nouvellement diplômés dont beaucoup venaient d'Europe et plus particulièrement d'Autriche. Parmi eux, c'est peut-être Antonin Raymond (Tchécoslovaquie) qui a le plus montré son attachement au Japon que le maître lui avait fait découvrir et qu'il n'avait plus voulu quitter. Quant à Rudolf Schindler et à Richard Neutra, anciens élèves de Wagner et de Loos, ils ont trouvé chez Wright, un temps leur employeur, l'impulsion qui leur a permis, par la suite, de s'épanouir dans un style propre, le "style de la baie", caractéristique aussi de la région dans laquelle il s'est développé: la Californie.
Le "style de la baie"
"Il y eu à San francisco à partir de 1894, une école recherchant comme Wright une synthèse entre l'Orient et l'Occident, la "Bay Region Style"."(32)Le "style de la région de la baie", soit celle de San francisco est devenu en fait, par extension celui de toute la Californie.
La synthèse, évoquée par Michel Ragon, entre l'orient et l'occident, soit entre le Japon et la Californie, réussie par cette architecture peut être en partie expliquée par le fait que ces deux contrées bénéficient de conditions climatiques comparables. Placées sous des latitudes voisines (environ 35°N), elles étendent, toutes deux, une façade littorale respectivement à l'ouest et à l'est de l'océan pacifique. Bien que le Japon ne bénéficiant pas des vents favorables protégeant la Californie subisse donc plus de précipitations et une plus grande amplitude des températures, à ces latitudes correspond le même climat chaud et tempéré par la présence de l'eau. De configuration longue, étroite et montagneuse, un autre point commun serait le même caractère sismique du sol.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on remarque tant en Californie qu'au Japon, une architecture de bois, aux grands toits débordant largement pour protéger autant de la pluie abondante que du soleil, et abriter les terrasses qui entrant jusque dans les pièces font communiquer l'intérieur et l'extérieur.
Rudolf Schindler (1887-1953) et Richard Neutra (1892-1970), n'ont pas été les premiers représentants de ce style. Avant eux, des architectes de la génération précédente, correspondant à celle de F.Ll.Wright, l'avaient éprouvé. Michel Ragon indique la date de 1894 (note 32) comme étant le début de cette école. Elle correspond à l'année où les frères Greene se sont installés à Pasadena, dans la baie de Los Angeles (1893). Ce style était aussi celui de Bernard Maybeck (1861-1957) qui avait ouvert son école au début du XXème siècle, à Berkeley dans la baie de San Francisco.
- Les frères Greene - Charles Sumner Greene (1868-1957) et Henry Mather Greene (1870-1954), comme F.Ll.Wright, avaient visité l'exposition colombienne de Chicago en 1893. C'est à cette occasion qu'ils ont été, eux aussi (voir l'Effervescence autrichienne - ill.53), pour la première fois en contact avec l'architecture japonaise.
Ils furent tous deux impressionnés par le pavillon présenté par le Japon, une réplique exacte du Hoo-do à Uji. Leur attention fut surtout attirée par l'utilisation essentielle de matériaux naturels (bois non peint, plâtre, papier, paille...), et par leur mise en oeuvre apparente dans une "structure audacieuse et directe" (33).
Ils furent profondément touchés par ce pavillon, au point de prendre des dispositions particulières pour assister, l'année suivante, à la "California Midwinter Exposition", organisée à San Francisco, en 1894. Là, le Japon exposait un petit village composé de cinq maisons disposées dans un jardin typique. Charles et Henry Greene purent alors apprécier la façon dont les constructions japonaises s'insèrent dans le paysage.
A 23 et 25 ans, au moment même où ils s'intallaient sur la côte pacifique, les frères Greene tombaient sous le charme du Japon. Pourtant, il fallait attendre quelques années, pour que cette prédilection pour le Japon, se fasse ressentir dans leur architecture.
En 1907, ils aménageaient, pour la résidence R.R.Blacker, à Pasadena, un jardin dans la plus pure tradition japonaise, selon la leçon qu'ils avaient retenue de San Francisco en 1894.
"le nom japonais du jardin est "san-sui", ce qui signifie "montagne et eaux". Il traduit immédiatement l'origine de la composition du jardin. Ce n'est pas un jardin utilitaire, mais le reflet d'un paysage idéal, sur une surface réduite. (...) On réalise littéralement la dénomination "montagne et eaux", en disposant des étendues d'eaux secrètes, serpentant ou dentelées, visibles de loin, auprès desquelles les îlots de rochers ne doivent pas manquer."(34)
Dans les premières années du XXème siècle, les constructions des frères Greene trouvaient leur véritable marque distinctive. C'était alors la leçon de Chicago de 1893 qui était retenue. L'attention particulière qu'ils avaient portée à la structure du pavillon japonais qu'ils avaient visité, se retrouvait dans leurs projets. Charles et Henry Greene réalisaient des constructions dont la structure, selon le système poteaux-poutres, en bois, restait apparente. Chaque élément de la structure avait une utilité, et aucun n'était caché, de même tous les assemblages étaient visibles: ce qui produisait un effet global de complexité, alors qu'en fait la conception était simple.
Il faut ajouter à cette utilisation essentielle du bois, les galeries, terrasses et balcons, qui sont empreints d'un esprit tout japonais (ill. 96 et 97).
L'architecture comme cadre de vie, reflète un idéal de vie: celui de son concepteur. Des frères Greene, Charles et son épouse étaient attirés par le bouddhisme.
"Charles était réellement profondément imprégné par la leçon bouddhique d'aborder la vie, et il la vivait ainsi."(36)Tous deux faisaient partie, et constituaient le noyau d'un groupe d'études philosophiques; et l'ouvrage qu'ils avaient choisi comme faisant autorité était "A Bouddhist Bible" de Dwight Goddard.
Les frères Greene étaient abonnés à la revue The Craftsman. Cette revue était l'organe de presse du mouvement Arts and Crafts anglais. Elle servait autant à pomouvoir la vente des maisons ("Craftsman Home Building Company", fondée en 1910 par Stickley) et du mobilier conçus par le mouvement qu'à présenter des constructions se rapprochant de ses idéaux. C'est ainsi que cette revue consacra un article au travail des frères Greene.
Et, on peut s'apercevoir qu'en fait, la Japon n'était jamais vraiment très éloigné de cette revue et des idées qu'elle véhiculait.
En 1903, Samuel Bing, dont les relations avec le Japon ne sont plus à démontrer, écrivait, pour cette revue, un article consacré à l'Art Nouveau (37).
Et en 1907, The Craftsman publiait un article de Henrietta Keith, consacré à l'influence japonaise sur l'architecture américaine (38).
Plusieurs années après, cette même influence japonaise sur l'architecture occidentale occupait un chapitre des Conversations sur l'architecture d'André Gutton. La démonstration illustrée d'Andrée Gutton est basée, en grande partie, sur des exemples américains; et dans le choix des projets présentés, il exploite largement l'oeuvre de Richard Neutra (39).
Richard Neutra, ainsi que Rudolf Schindler (1887-1953) qui furent un temps associés, ajoutaient la touche "internationale", relative à leur génération, à cette tendance particulière californienne.
Tous deux avaient suivi un parcours parallèle. De même origine, autrichienne, ils s'étaient déjà rencontrés à Vienne où ils avaient trouvé les mêmes maîtres, O.Wagner et A.Loos; avant d'émigrer aux Etats-Unis, où ils ont tous deux travaillé avec F.Ll.Wright, avant de s'installer en Californie, où ils se sont associés (1926-1929).
- Richard J.Neutra -
"Plus encore que Wright, l'architecture japonaise traditionnelle marquait Neutra."(40)Si la personnalité et l'architecture de Wright ont exercé une influence certaine sur son éléve, c'est certainement aussi Wright qui était plus particulièrement à l'origine de cette sensibilisation de Neutra envers l'architecture japonaise. C'est, en effet, après son arrivée aux Etats-Unis, en 1923, et sa rencontre avec le maître, que Neutra avait effectué plusieurs voyages d'études au Japon (41), soit juste après le retour de Wright de Tokyo (voir chronologie).
C'est certainement du Japon que Neutra avait rapporté cette haut idée de la nature, dont tout le respect est visible dans son architecture, avec toujours cette même volonté d'intégration (39) (ill.101 et 102)
Il y avait trouvé la source de ce qu'il avait lui-même denommé le "Bioréalisme" soit le réalisme de la nature en opposition au "réalisme des dollars au mètre carré" (42).
Une autre idée, directement liée au processus de la conception, lui provenait du Japon: celle de la standardisation, qu'il préconisait comme adaptée à la société industrialisée moderne.
"A l'autre bout du Pacifique, au Japon, une nation toute entière vit depuis mille ans dans des habitations minutieusement standardisées. C'est une sorte de standardisation massive de l'habitat qui dépasse tout ce qui a été fait ou conçu à l'époque industrielle. Les villes japonaises ont fait la joie d'innombrables touristes américains, et pourtant, ces villes sont faites de maisons, et ces maisons de chambres, qui ont toutes exactement les mêmes dimensions, calculées sur une mesure de base: celle de la natte de paille japonaise de trois pieds sur six. Mises bord à bord, ces nattes couvrent exactement le sol de chaque pièce qui devient donc un multiple standard. Des millions de maisons sont des assembleges de ces pièces de base, et il n'y a guère de différences entre les régions urbaines et les districts ruraux, différence si marquée en Europe. Tous les panneaux coulissants à l'intérieur, comme les panneaux extérieurs, ont trois pieds de large. Ils s'alignent sur les dimensions des nattes, de même que les tansu ou tiroirs dans lesquels sont rangés les kimonos faits d'étoffes qui, dans le pays tout entier, sont tissés sur des métiers larges de trois pieds. Si bien que l'étoffe dont les Japonais sont vêtus et l'espace de rangement prévu pour cette étoffe ont déterminé les dimensions fondamentales des pièces et des maisons.Une pareille standardisation des mesures, allant des murs, des portes coulisantes et des meubles à tiroirs jusqu'aux toits, aux balustrades des balcons et aux baignoires de bois, permet au charpentier-bâtisseur de concevoir son plan de la façon la plus simple. Les mesures standard fournissent immédiatement la structure de tous les détails et donnent forme à la vie (...)"(43)De la standardisation résulte logiquement l'idée de la préfabrication. Neutra avait étudié, à partir de 1923, des maisons à bon-marché; sujet qui sous-tend la standardisation et se prête parfaitement à la préfabrication. Cependant, Neutra reste célèbre pour ses réalisations de grand standing; et même pour des commandes plus luxueuses, il avait aussi utilisé des procédés de préfabrication. En 1927-29, Neutra projetait la maison de M.Lovell, la Health House.
"Avec ses fondations en béton armé, son ossature légère en acier, les menuiseries métalliques des baies vitrées, la Health House constituait un exemple parfaitement réussi de préfabrication. Ce bâtiment, monté en quarante heures, montrait des qualités esthétiques aussi évidentes que ses qualités fonctionnelles." (44)En allant plus loin, et en rejoignant l'idée de l'impermanence de la construction japonaise, Neutra concevait, en 1936, une maison construite avec des éléments de bois contre-plaqué démontables, pouvant être transportée.
Parmi les disciples de Wright, celui pour lequel la découverte du Japon, dont le maître Wright était à l'origine, avait eu une influence décisive est Antonin Raymond.
La découverte de ce pays avait non seulement marqué une charnière dans la carrière du jeune architecte, mais elle avait aussi déterminé le cours de sa vie. Il n'est pas à démontrer l'influence du Japon sur son oeuvre, puisque pour en avoir fait un choix de vie, il était devenu pour lui, une présence quotidienne.
Antonin Raymond avait suivi Wright dans son intérêt pour le Japon, mais il était allé aussi beaucoup plus loin.
Antonin Raymond (1888-1976)
Antonin Raymond fait partie, comme Rudolf Schindler et Richard Neutra, émigrés d'Europe centrale, de ces architectes qui ont suivi un parcours mi-européen, mi-américain. C'est aux Etats-Unis que Raymond, d'origine tchèque, avait choisi de s'installer, en 1910, pour se forger au métier d'architecte. Et c'est avec sa formation européenne et son expérience américaine qu'il avait été aussi amené à rencontrer F.Ll.Wright.
- Son itinéraire - Ses premières années passées aux Etats-Unis, comme dessinateur dans différentes agences d'architecture, écoulées, Antonin Raymond, en 1915, rencontrait enfin Wright, avec lequel il allait pouvoir travailler à Taliesin (Spring Green, Wisconsin).
Avant même sa décision d'émigrer aux Etats-Unis, alors étudiant en architecture à Prague, Raymond avait naturellement eu connaissance de l'oeuvre de Wright dont il louait toutes les qualités.
"Je me souviens de l'enthousiasme avec lequel nous, étudiants à Prague, avions accueilli un petit livre sur le travail de Frank Lloyd Wright (aux alentours de 1908), qui était édité par Wasmuth à Berlin. Plus tard, le grand porte-folio de Wright nous est parvenu, vers 1909, et est devenu une véritable source de sagesse, et le sujet de discussions sans fin. Wright avait reformulé les principes de la construction; il avait maîtrisé la cellule, libéré le plan, rendu l'espace fuide, donné aux bâtiments une échelle humaine et fait fondre ces derniers avec la nature, tout ceci d'une façon romantique, sensuelle et originale qui nous laissait interdits. Il représentait ce que nous avions tant attendu, un véritable révolutionnaire."(45)En 1915, embauché comme dessinateur par Wright, Antonin Raymond a passé quelques temps à Taliesin, participant pleinement à la vie de la communauté. Là, il a notamment travaillé sur le projet de Wright pour un système de préfabrication adapté aux maisons individuelles.
Et, c'est cette rencontre initiale avec Wright qui devait lui apporter quelques temps plus tard, après avoir passé les années de la première guerre mondiale en Europe et après être de retour aux Etats-Unis où il avait décidé de s'installer à son propre compte, l'opportunité de se tourner vers le Japon.
Contacté à la fin de l'année 1919 par Wright, pour participer au projet du nouvel Hôtel Impérial de Tokyo dont Wright avait obtenu la commande officielle, Antonin Raymond, acceptant l'offre, allait faire partie de l'expédition pour le Japon. Là, au sein d'une équipe de plusieurs dessinateurs japonais, il devait seconder Wright dans sa tâche.
"Mon principal travail consistait à dessiner des plans de détails ainsi que des perspectives d'intérieur et d'extérieur (...). Il y avait des nouveaux matériaux à étudier. Une pierre volcanique, provenant des carrières d'Oya, près de Nikko, séduisait la nature romantique du maître. Verdâtre et poreuse, pleine de petits défauts, elle n'avait jamais été utilisé auparavant par les Japonais, sauf à des fins les moindres." (46)"(...) La somme extraordinaire d'ornementations recouvrant le bâtiment, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, rendait le travail extrêmement laborieux. La perspective extérieur de l'Hôtel Impérial, que j'avais à faire jusque dans ses moindres détails, était l'une des causes de ma révolte. Chaque surface, chaque forme, était couverte d'ornements." (47)A la suite d'un désaccord entre les deux hommes, dont Raymond évoque ici l'un des motifs, il était amené a cesser de travailler pour Wright; et alors que Wright quittait Tokyo, Antonin Raymond, lui, choisissait de poursuivre sa propre expérience professionnelle et personnelle au Japon.
Ce pays, dans lequel il décidait de s'établir définitivement, ne l'avait, en fait, jamais laissé indifférent. Déjà auparavant, avant même de deviner qu'un jour il pourrait vivre au Japon, dans sa jeunesse, il avait manifesté ses sentiments envers ce pays.
"Après la guerre russo-japonaise, vers 1908, j'étais étudiant à l'Institut Polytechnique de Prague. En général, les sentiments de sympathie des Tchèques se portaient du côté des Russes, ce qui était naturel, les Tchèques et les Russes étant deux peuples slaves. Lors d'une assemblée générale estudiantine, certaines résolutions en faveur de la Russie étaient proposées. J'étais le seul à m'y opposer, ce qui m'a rendu impopulaire, mais n'a pas diminué mon profond intérêt pour les choses japonaises - aussi mystérieuses qu'elles fussent.En 1914, mon ami Hervey Wetzel m'a donné un livret sur le Général Maresuke Nogi, qu'il s'était procuré au Japon. Je possède toujours ce livret, qui avait éveillé en moi un profond sentiment d'admiration pour les Japonais, et aussi, m'avait donné l'envie de visiter le Japon et d'avoir des contacts avec les Japonais." (48)
En prenant la décision de s'installer au Japon, Antonin Raymond donnait une orientation toute particulière à sa carrière.
Dès le début des années 1920, il débutait tout d'abord, en fondant à Tokyo, associé à un certain Slack "The American Architectural and Engineering Company"; mais l'association ne devait pas durer plus d'une année.
La véritable activité de Raymond au Japon a été marquante après qu'il ait ouvert sa propre agence à Tokyo, alors entouré d'une équipe d'une quinzaine de personnes, architectes et dessinateurs, aussi bien étrangers (américains, tchèques, anglais...) que japonais. Plusieurs de ces architectes japonais avaient appartenu à l'équipe que Wright avait constituée au Japon. Ils avaient rejoint Raymond, qui les connaissait pour avoir déjà travaillé avec eux, après l'achèvement du chantier de l'Hôtel Impérial. Parmi eux, il y avait Kumazo Uchiyama.
Antonin Raymond avait aussi contribué à former dans cette agence, certains des jeunes architectes qui sont devenus, plus tard, des représentants de l'Architecture Moderne au Japon. Ainsi, en 1926, Junzo Yoshimura, encore étudiant, puis, en 1932, Kunio Maekawa, à son retour de Paris où il avait travaillé chez Le Corbusier, rejoignaient l'équipe de Raymond.
L'activité, tant architecturale que sociale, de Raymond au Japon était brillante. Il a su obtenir un nombre de commandes toujours croissant, et notamment à la suite du violent tremblement de terre de 1923, il a participé ardemment à la reconstruction. D'ailleurs, la plupart des "maisons temporaires" qu'il avait construites sont restées en place jusqu'au milieu des années 1940.
Et, déjà, sa qualité d'architecte lui faisait côtoyer la Haute Société du Japon, d'ailleurs tant étrangère que japonaise.
(Debout à gauche:A.Raymond et assis au centre:P.Claudel.)
En 1926, Antonin Raymond fut nommé Consul Honoraire de la République Tchécoslovaque à Tokyo. Ce titre, qu'il a conservé jusqu'à ce qu'il quitte le Japon en 1937, lui permettait de participer à la vie officielle, appartenant au corps diplomatique. Il lui donnait aussi accès à des commandes d'une envergure plus importante, telles que celles pour des projets d'ambassades (Italie, Etats-Unis, Russie, France...).
Après une première étape de 18 ans passés au Japon, en décembre 1937, face aux évènements qui s'annonçaient, Antonin Raymond devait quitter le pays, abandonnant son agence en pleine activité, pour regagner les Etats-Unis. Là, il était loin d'être méconnu: les deux recueils qu'il avait fait publier à propos de son travail réalisé au Japon, l'avaient fait connaître du milieu des architectes et des étudiants en architecture américains. D'ailleurs, dès son arrivée à New-York, il était contacté pour organiser une exposition présentant ses travaux au Rockefeller Center.
"Des gens de "Libby-Owens-Ford Glass" avaient vu certains de mes travaux au Japon et étaient frappés par le fait que j'employais considérablement plus de verre que de coutume, et ils pensaient qu'il pourrait être profitable pour leur entreprise d'informer le public américain sur ce nouveau point de vue. Les gens de "Libby-Owens-Ford" m'ont offert un grand espace au Rockefeller Center pour une exposition de photographies et de quelques maquettes de mon travail au Japon.(...) J'avais aussi des maquettes, faites au Japon, de cloisons coulissantes et de portes intérieures coulissantes, recouvertes de tissu et de papier, et un spécimen de fenêtre coulissante horizontale (...)" (49)Durant une dizaine d'années, Raymond allait poursuivre une carrière américaine un peu sur le modèle de celle de Wright à Taliesin. Il était amené à rencontrer des grands noms de l'architecture tels Aalto, Saarinen...
A la fin de la guerre, en 1947, il décide de renouveller son expérience japonaise, et à son retour, dans un Japon occupé, dans le Tokyo dévasté, il retrouve son agence pratiquement intacte.
"L'une des choses qui m'a le plus surpris lorsque je suis arrivé au Japon, était de trouver mon agence apparemment réorganisée et prête à fonctionner sous mon nom. (...) Il y avait mon bureau, avec la plupart des documents infiniment précieux que javais laissés au Japon en 1937, et aussi les fichiers pratiquement complets des travaux que nous avions faits avant la guerre. (...) Les membres de l'équipe qui restaient m'ont assuré qu'ils savaient qu'un jour je reviendrais, et c'est la raison pour laquelle ils ont pris tant de peine à tout conserver." (50)Avec son équipe composée d'environ soixante dix personnes (51), Raymond retrouve toute son activité, d'autant stimulée par la reconstruction massive du pays.
En 1964, pour fêter ses 76 ans, après 35 ans de cette expérience au Japon, et 66 ans après Dr. Sylvester Morse, entouré de ses amis japonais, il était invité à recevoir l'une des plus grandes distinctions offertes par le Japon:
"L'architecte Antonin Raymond a reçu à Tokyo, le 21 avril dernier (1964), des mains du vice-Ministre des Affaires étrangères japonais, l'Ordre du Soleil Levant, pour la contribution qu'il a apportée au développement de l'architecture moderne au Japon où il a vécu plus de quarante ans.A. Raymond, aujourd'hui agé de 76 ans, vint pour la première fois au Japon en 1919 comme collaborateur de Frank Lloyd Wright pour la construction de l'Hôtel Impérial. Il y resta jusqu'en 1938, puis y revint en 1948, après une absence de dix ans.
A. Raymond a construit un grand nombre d'édifices dans lesquels il a su allier l'esprit de l'art moderne aux traditions japonaises. (...)
Les Japonais sont particuluèrement reconnaissants à Antonin Raymond d'avoir contribué à élever le niveau de l'architecture et des techniques de construction et à faire rayonner dans le monde la culture et l'architecture japonaises." (52)
- Ses réalisations - Pour avoir passé le plus long temps de sa vie professionnelle au Japon, la majeure partie de ses réalisations s'y trouvent localisées.
Dans ses constructions, et notamment dans les maisons d'habitation particulières, Antonin Raymond tentait toujours de faire le compromis entre sa propre culture d'occidental et la tradition architecturale locale. Il semblerait qu'Antonin Raymond ait été l'un de ceux qui ont apporté la modernité occidentale au Japon, alors qu'il puisait, en même temps et pour lui-même, dans la tradition architecturale dont il était entouré. Si, certaines de ses réalisations présentent, surtout vues de l'extérieur, un aspect plus moderne relatif aussi à l'époque pendant laquelle il exerçait que japonais, Antonin Raymond, sans en faire une copie servile, se servait d'éléments de l'architecture traditionnelle japonaise pour tenter de rendre aussi japonaise l'architecture du style international.
Avant de partir pour le Japon, alors à New-York, Raymond projetait, pour Jacques Copeau, le théâtre du Vieux Colombier aux Etats-Unis. Et avec le recul des nombreuses années passées au Japon, il évoque lui-même le théâtre Kabuki auquel la conception de cette scène lui fait, a posteriori, penser.
"La scène était rudimentaire. Cette flexibilité me rappelait plus tard au Japon la flexibilité de la scène japonaise de Kabuki."(53)Il est vrai que l'idée même d'une scène de spectacle privilégie la perception de cette notion de flexibilité.
Les réalisations de Raymond au Japon, montrent l'évolution qui s'est opérée, logiquement, au fil des projets, dans la carrière de l'architecte.
Ses premières expériences personnelles, dès 1922-23, restituant une image assez fidèle de l'architecture de Wright, révèlent l'emprise que le maître avait eue sur lui. Lui-même évoque cette influence:
"Mes propres débuts au Japon furent difficiles. Je n'avais pas réalisé, en dépit de ma révolte, à quel point la forte personnalité de Wright avait dominé ma façon de penser.(...) Il m'a fallu environ trois ans d'efforts, pour me libérer de la puissante influence de Wright."(54)
C'est une critique de la façon dont Wright a projeté l'Hôtel Impérial qui lui permet de se libérer de cette influence, prenant pleinement conscience qu'il était inconcevable de réaliser au Japon, une architecture qui soit purement occidentale et qui ne respecte pas le pays et ses façons de construire.
"Il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec Wright. Il pense que son Hôtel Impérial était japonais dans l'esprit, ce qu'il n'a jamais été. Il était américain dans tous les sens. F.Ll.Wright est le seul réel "architecte américain". Il n'a jamais rien emprunté à quiconque ou à quelque pays que ce soit, mais a toujours exprimé sa propre opinion personnelle, convenant à son individualisme bourru d'américain."(55)Dès lors, Raymond devait, avec équilibre, composer avec cette ambivalence de deux sources de conception distinctes.
Dans sa maison personnelle de Reinanzaka (Tokyo), construite en 1923-24 (56), Raymond affirme tout le caractère moderne de son architecture. Cette maison qui pouvait répondre à toutes les aspirations des modernes, il l'avait conçue avec le Japon.
"Nous avons volontiers accepté toutes les idées que les charpentiers et les maçons japonais proposaient, et nous avons appris d'eux autant que nous leur avons montré, peut-être davantage même."(57)C'est ce compromis final, entre l'aspect général de prime abord moderne, et le caractère vernaculaire japonais de certains éléments de construction, que trouve à souligner Kenneth Frampton dans sa description de cette maison.
"La maison de Raymond était remarquable à de nombreux égards. C'était l'une des premières fois qu'une structure en béton avait des détails rappelant la construction en bois traditionnelle du Japon (...). Son intérieur était également en avance, selon les standards du style international (...). En même temps, Raymond essaya d'intégrer dans sa forme des éléments provenant directement du vernaculaire local, comme les gouttières de corde à la place des descentes d'eau occidentales traditionnelles."(58)
105- Maison d'A.Raymond à Reinanzaka, 1923.
D'autres réalisations qui privilégient moins l'une des sources d'inspiration par rapport à l'autre, montrent davantage le compromis plus manifeste.
Dans la maison du Vicomte Hamao, par exemple, la composition du plan, sur lequel la distinction graphique entre deux types de surfaces est nette, supportterait tout aussi bien des surfaces entièrement recouvertes de tatamis, tout comme pourrait correspondre au schéma d'un plan-ouvert occidental.
Et ce compromis n'est pas seulement valable en plan:
"Nous avons réussi, pour la première fois, à trouver une solution au problème d'harmonisation des deux façons de vivre japonaise et occidentale, et à leur donner des formes nouvelles et acceptables. Aussi bien par son plan que dans ses détails, cette conception était annonciatrice des résidences qui aujourd'hui encore sont considérées comme modernes (...)."(59)C'est paradoxalement pour son propre usage, avec sa maison de campagne de Karuizawa, en 1933, que Raymond s'inspire des principes constructifs japonais, sans pour autant adopter aucune forme traditionnelle.
Même si le cas d'Antonin Raymond est un peu particulier dans cette étude, dans la mesure où par rapport aux autres architectes c'est au Japon qu'il a construit et où il n'a pas eu à réinterprêter des éléments architecturaux hors de leur contexte, il apparaissait tout de même bon de s'intéresser à l'itinéraire de cet architecte simplement peut-être parce qu'il a su montrer, en allant jusqu'au bout de ses sentiments personnels pour le Japon, à quel point les solutions architecturales modernes étaient compatibles avec le mode particulier d'habiter japonais.
Notes:
(1)Un autre Autrichien, passionné par le Japon, aux Etats-Unis:
"Paul Th.Frankl, né à Vienne, en Autriche, en 1886, commença son éducation d'artiste dans les écoles techniques de cette ville. Il entra ensuite à l'école d'architecture où il prit ses diplômes d'ingénieur et d'architecte.(...) Dans sa jeunesse, deux forces exerçaient sur lui un impérieux attrait, la culture artistique du Japon et le mouvement industriel américain. Il alla donc au Japon où il se mêla au peuple, (...). Là, il étudia directement et de près les façons de vivre des Japonais, leur art, leur théâtre et leur admirable conception du décor intime de la maison. (...)L'élégante simplicité de l'art japonais devint une des bases de son oeuvre.
Mais le voici en Amérique (...).
MIGENNES, Pierre, Un artiste décorateur américain Paul Th.Frankl, in Art et Décoration, janvier à juin 1928, Tome LIII, pp.49-56.
(2)Tiffany était approvisionné en objets japonais par Christopher Dresser. Voir chronologie 1876.
(3)John La Farge était l'époux d'une petite nièce du Commodore Perry. Il avait lui même voyagé au Japon en 1886.
(4)KOCH, Robert, Art Nouveau Bing, in Gazette des Beaux-Arts, mars 1959, pp.179-190.
(5)MORSE, Ed.S., Japanese Homes and their Surroundings, Tuttle, Rutland Vermont et Tokyo, 1990.
(6)ALLEN, G. et MOORE, Ch., L'architecture sensible, Dunod, Paris, pp.27-41.
Selon HITCHCOCK, H.R., Architecture XIXth and XXth Centuries, Londres, 1958, p.543: "Les travaux de Cram dérivent de ceux de Bodley et de Pearson en Angleterre".
(Pearson avait longtemps résidé au Japon; il était aussi l'ami de Thomas W.Cutler-architecte anglais japonisant. Voir chronologie 1862.)
(7)voir chronologie 1878.
(8)CRAM, Ralph Adams, American Country Houses of Today, 1913.
Cité par DAVEY, Peter, Architecture Arts and Crafts, Mardaga, 1987, p.233.
(9)Lettre de Le Corbusier adressée à H.T.Wijdeveld, datée du 5 août 1925.
(10)BADOVICI, Jean, F.Ll.Wright, in Cahiers d'Art, n°1, 1926, pp.30-32.
(11)MALKIEL-JIRMOUNSKY, M., Les Tendances de l'Architecture contemporaine, Bibliothèque de la vie artistique, Librairie Delagrave, Paris, 1930, pp.86-87.
(12)Willits house, Higland Park, Illinois, 1901-1902.
(13)TREIBER, Daniel, F.Ll.Wright, F.Hazan, Paris, 1986, p.28.
(14)WRIGHT, F.Ll., Autobiographie, p.131, cité par TREIBER, Daniel, op.cit., p.132.
(15)STORRER, William Allin, The Architecture of F.Ll.Wright, a complete Catalog, The M.I.T. Press, Cambridge, Massachussetts, 1974.
(16)Bâtiment administratif de la Société Larkin, Buffalo, New-York, 1903-1905.
(17)WICHMANN, Siegfried, Japonisme, ed.chêne/Hachette, Paris, 1982, pp.170-177 (Le Format en hauteur).
Formats japonais normalisés: kakemono:57*30cm; hashirakake:52*23cm; hoso-e:32*15cm; tanzaku:36*11,5cm.
(18)TREIBER, Daniel, op.cit., p.42.
(19)PFEIFFER, Bruce Brooks, F.Ll.Wright, Taschen Verlag, 1991, p.66.
(20)RAGON, Michel, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes, ed. Seuil, 1991, T.2, p.304.
(21)RAGON, Michel, op.cit., T.1, p.277.
(22)TANIZAKI, Junichiro, Eloge de l'ombre, P.O.F., Paris, 1986, pp.49-50.
(23)CHING-YU CHANG, Japanese spatial conception-5, in The Japan Architect, n°328, Aug.1984, vol.59, p.63.
(24)TREIBER, Daniel, op.cit.
(25)TREIBER, Daniel, op.cit.,p.8, cite BLAKE, Peter, F.Ll.Wright: Architecture and Space, Baltimore, 1964, p.63, selon sa traduction.
(26)TREIBER, Daniel, op.cit., p.50.
(27)WRIGHT, F.Ll., Autobiographie, p.114, cité par TREIBER, Daniel, op.cit., p.26.
(28)CHING-YU CHANG, op.cit., in The Japan Architect, n°330, oct.1984, p.64.
(29)CHING-YU CHANG, op.cit., in The Japan Architect, n°329, sept.1984, p.62.
(30)WRIGHT, F.Ll., Autobiographie.
(31)TREIBER, Daniel, op.cit., P.111.
(32)RAGON, Michel, op.cit.,T.1, p.274.
(33)MAKINSON, Randell L., Greene and Greene, Architecture as a fine Art, vol.1, Peregrine Smith Books, p.32.
(34)WICHMANN, Siegfried, op.cit., p.370 et 374.
(35)MAKINSON, Randell L., op.cit., vol.1, p.264 note 17.
(36)DAVEY, Peter, op.cit., pp.230-233.
(37)BING, Samuel, L'Art Nouveau, in The Craftsman, 1903, vol.5, p.14, voir KOCH, Robert, op.cit., p.190 note 27.
(38)KEITH, Henrietta P., The Trail of Japanese Influence in our Modern Domestic Architecture, in The Craftsman, july 1907, pp.446-451.
(39)GUTTON, André, Conversations sur l'Architecture, première partie, troisième cycle, tome II, p.154 et pp.166-171.
(40)RAGON, Michel, op.cit.,T.2, p.294.
(41)ACHE, Jean et CHAMPIGNEULLE, Bernard, L'Architecture du XXème siècle, P.U.F., Paris, 1962, p.77. ("D'abord établi en Californie, effectuant des voyages d'études au Japon (...)")
(42)NEUTRA, Richard, Construire pour survivre, Casterman, 1971.
(43)NEUTRA, Richard, op.cit., pp.43-44.
(44)RAGON, Michel, op.cit., T.2, p.292.
(45)RAYMOND, Antonin, Antonin Raymond:An Autobiography, Tuttle, Rutland and Tokyo, 1973, p.24.
(46)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.67.
(47)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.71.
(48)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.40.
(49)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.169.
(50)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.202.
(51)Les travaux dont Raymond obtenait lui-même la commande étaient réalisés par "Antonin Raymond, A.I.A.Architect", pour son compte personnel. Et, pour ne pas interférer avec le désir légitime de certains membres de son équipe de gagner un certain degré de respectabilité et de notoriété, les commandes que ceux-ci obtenaient étaient honorées par "K.K.Raymond Kenchiku Sekkei Jimusho" (Agence d'architecture Raymond).
(52)L'Ordre du Soleil Levant à l'Architecte Antonin Raymond, in A.A. 113/114, avril/mai 1964.
(53)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.55.
(54)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.83.
(55)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.253.
(56)A propos de cette maison, voir Paul CLAUDEL, La Maison d'Antonin Raymond à Tokyo, in L'Oiseau noir dans le Soleil levant, Gallimard, 1989, pp. 234-236.
(57)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.102.
(58)FRAMPTON, Kenneth, Histoire critique de l'architecture moderne, Ph. Sers, 1980, p.224.
(59)RAYMOND, Antonin, op.cit., p.118.
Agnès Salacroup-Buchard
(Création du document : 20 nov 2000)